Top 10 des films de 2021

10. Teddy, Ludovic et Zoran Boukherma

J’ai découvert Teddy via la sélection du Festival Gérardmer de cette année, et avant même de lire le synopsis, j’ai été instantanément attirée par cette affiche jaune pétant aux couleurs criardes et joyeuses, assez loin de l’esthétique habituelle des films d’horreur. Film de genre français à petit budget, Teddy ne partait pas gagnant mais s’est avéré excellent ; il réussit à remettre au goût du jour les histoires de loup-garous qui ont peuplé notre enfance et qu’on avait très peu vues à l’écran ces dernières années en dehors de Teen Wolf ou du (très raté) Petit Chaperon Rouge de Catherine Hardwicke. Le ton du film, quelque part entre humour cringe et comédie adolescente lourdingue à la American Pie, alterne entre le rire et le drame avec une subtilité incroyable qui ménage de vrais et inattendus moments d’émotion. Teddy réussit aussi, en creux, à dresser le portrait sociologique d’une jeunesse isolée en pleine campagne, à la rage de vivre rafraîchissante mais dont l’avenir semble compliqué… Le tout avec un vrai monstre qui fait peur et qui soigne son entrée, un point capital pour un film d’horreur. Bref, Teddy est un sans faute qui aurait mérité plus de retentissement, en ce qu’il témoigne de la vitalité du cinéma de genre hexagonal mais aussi de la capacité des français à parler de leurs ados, loin des clichés américains.

9. Au coeur du bois, Claus Drexel

Un documentaire léché, drôle et touchant, qui soigne autant la forme que le fond, entièrement consacré aux TDS du Bois de Boulogne… Si cette description ne vous donne pas envie, songez à voir Au coeur du bois pour vous éduquer, déconstruire votre regard sur le travail du sexe et soutenir les femmes et les hommes qui en vivent. En attendant, ma critique complète est à lire ici !

8. L’événement, Audrey Diwan

En fervente admiratrice et lectrice d’Annie Ernaux, j’étais très heureuse en 2021 que deux de ses oeuvres bénéficient d’une adaptation sur grand écran (bien que je n’ai toujours pas vu Passion simple, malheureusement). Là où le roman m’avait marquée par la capacité de l’autrice à relater la violence des faits avec la distance littéraire quasi scientifique qui lui est propre, le film d’Audrey Diwan a été un vrai choc en ce qu’il réussit à insuffler aux mots une force visuelle et une énergie insoupçonnée à la lecture. Les deux oeuvres se répondent ainsi très bien et prennent le lecteur.trice ou le spectateur.trice aux tripes, chacune avec les moyens qui leurs sont propres. La réussite d’Audrey Diwan selon moi a été de nourrir son oeuvre d’une dimension quasi-horrifique qui m’a parfois rappelé le travail de Julia Ducournau, sans jamais succomber au voyeurisme ni à la violence gratuite. Quand on rajoute à tout ça les yeux bleus quasi radioactifs d’Anamaria Vartolomei, qui vous transpercent de part en part et vous forcent à rester à ses côtés tout du long, ainsi que la photographie soignée et délicate de Laurent Tangy, on obtient un film sensoriel, intime et inoubliable, qui a largement mérité son Lion d’or.

7. La fièvre de Petrov, Kirill Serebrennikov

Après Leto que j’avais tout simplement adoré, Kirill Serebrennikov m’a une fois de plus swiped off my feet avec ce film tourbillon et (sans mauvais jeu de mots) enfiévré. S’engager à aller voir un film russe de 2h25 au cinéma peut, je l’admets, effrayer, mais La fièvre de Petrov vaut vraiment le détour : c’est un film drôle, poétique, plein d’énergie, qui joue avec notre cerveau et les limites du réel tout en interrogeant le pouvoir de l’art et d’une oeuvre de fiction. Qu’est-ce qu’un réalisateur peut raisonnablement faire avaler à son audience ? Où s’arrête et commence notre crédulité, pierre angulaire du contrat tacite passé entre l’oeuvre et le spectateur.trice ? Autant de questions qui à mon humble avis sous-tendent le propos de Serebrennikov, mais si vous ne voulez pas vous les poser, aucun problème, vous pouvez aussi vous laissez emporter par le rythme délirant et loufoque de ce film, qui a en plus le mérite d’être très beau. Bref, une expérience cinématographique à part entière dont on ne ressort pas indemne et qui vaut définitivement le coup d’oeil.

6. Akelarre, Pablo Agüero

Enfin un film qui parle de procès de sorcellerie de manière intéressante ! Oscillant entre la fiction d’époque et le réalisme magique, Pablo Agüero signe ici un très beau tour de force visuel qui envoûte dès les premiers instants. A voir pour croire en la magie, pour s’interroger sur les liens entre conte et réalité, sur le pouvoir de persuasion de nos esprits, mais aussi pour sa bande son entêtante, son folklore délicat et sa photographie époustouflante. Akelarre ne parle pas seulement de sorcellerie, il jette un sort au spectateur.trice et c’est ce délicieux effacement des frontières entre mensonge et vérité qui fait sa beauté : on sait que c’est faux mais on veut y croire, nous aussi. Étourdissant.

5. La nuée, Just Philippot

La nuée, également découvert grâce au Festival Gérardmer, m’a plu pour les mêmes raisons que Teddy : il démontre l’inventivité du cinéma de genre français et notre capacité à twister notre propre réalité sociologique et culturelle pour livrer un propos politique effrayant. Laissons tomber les familles BCBG dans leurs grandes maisons de banlieue chic et parlons du vrai drame de la France : les agriculteurs.trices ! Si vous aimez les films d’horreur qui prennent aux tripes et font mal physiquement façon Black Swan, vous aimerez la douce torture que nous impose crescendo Just Philippot dans son étrange conte aux accents bibliques. Le film doit énormément au jeu phénoménal de son actrice principale, Suliane Brahim, qui campe ici une mère de famille et une professionnelle en crise ultra convaincante. Sous ses airs faussement tranquilles de vacances à la ferme, La nuée brasse de nombreuses thématiques métaphysiques et civilisationnelles, monte en puissance avec allure et terrifie brillamment.

4. Compartiment n°6, Juho Kuosmanen

Le cinéma russe m’a décidément comblée cette année… Quel bonheur de découvrir Compartiment n°6 par un dimanche pluvieux de décembre ! Drôle, émouvant, sensuel et cosy à la fois, le film reprend les codes du road trip et de la romcom mais façon Europe de l’Est, le tout dans l’univers vintage d’un train à compartiments et couchettes qui n’est pas sans rappeler par moments le Poudlard Express. Sans aucune prétention, Juho Kuosmanen nous embarque dans un voyage improbable et laisse ses personnages vivoter, se détester, se découvrir et s’aimer devant une caméra aussi tremblotante et chaotique que les sentiments des héros -une recette simple mais efficace, qui a fait ses preuves au cinéma depuis longtemps et qui acquiert ici un souffle nouveau. Rien d’obvious ou de pataud dans les échanges tantôt grinçants, tantôt touchants des deux acteurs (merveilleux.se Seidi Haarla et Youri Bourissov), avec qui nous nous retrouvons coincé.e.s dans des plans très serrés et quasi étouffants. Un film unique et délicat à savourer comme un chocolat chaud, un premier baiser ou une étoile filante très, très brillante au coeur de la nuit.

3. Promising Young Woman, Emerald Fennell

J’ai passé une grande partie de l’année 2021 à me demander si j’avais aimé Promising Young Woman, dont j’ai fait une critique mitigée ici. Après avoir lu des articles et des interviews, écouté des podcasts et visionné des vidéos d’analyses thématiques, j’ai fini par en déduire que, réussi ou pas, le film avait rempli l’une des missions les plus essentielles d’une oeuvre à mes yeux : habiter le specateur.trice et continuer à l’interroger bien après sa fin. On reprochera ce qu’on aura envie de reprocher à l’oeuvre d’Emerald Fennell -son opportunisme, son white feminism, son dénouement- mais on ne lui retirera pas l’effet qu’il a produit sur moi, à savoir celui d’une gifle. C’est tout simplement la première fois que je vois abordé aussi directement au cinéma la question de la culture du viol, avec un tel sens du détail que ça en devient quasi-scolaire ; le côté bonbon pop du film a très bien fonctionné sur ma personne et j’ai adoré l’ironie du casting (Adam Brody is a punchline a lui tout seul à ce stade), les couleurs, la symbolique christique, Carey Mulligan et surtout, surtout, la bande-son. S’il faut retenir une bonne raison de voir ce film, c’est probablement la reprise terrifiante de Toxic au violon.

2. The Power of the Dog, Jane Campion

Visionné à la toute fin de l’année, The Power of The Dog a été une vraie découverte cinématographique. Je ne suis pas vraiment cliente de la réécriture du western ces dernières années au cinéma : j’ai bien aimé No Country for Old Men mais c’était en 2007, Hostiles m’a laissé de marbre, je n’ai jamais trouvé la motivation de regarder The Rider (mais je vais m’y mettre) et j’ai failli m’endormir devant The Revenant. Pourtant, The Power of The Dog m’a fait l’effet d’un phare dans la nuit : selon moi, Jane Campion a mis le doigt sur le véritable intérêt du genre au XXIème siècle et a réussit à en tirer un film à la fois délicat et terrible. On lui a reproché son manque de finesse et sa lenteur ; il a, à mes yeux, la force insidieuse d’un poison qui agit lentement mais sûrement. Jane Campion se penche sur la masculinité ultra virile au coeur de cet univers, sur la beauté de la nature et sur le combat entre civilisation et sauvagerie avec une grâce si lumineuse que j’en rêve encore. La photographie grandiose, signée Ari Wegner, est à couper le souffle, tandis que le jeu des acteurs, tout en retenue brute (mon atmosphère préférée !) tient en haleine jusqu’au bout. Mon seul vrai regret aura été de le découvrir chez moi et pas sur grand écran, car le film n’est disponible que sur Netflix…

1. Pleasure, Ninja Thyberg

Si vous ne m’avez pas encore entendue vanter les mérites de Pleasure depuis que je l’ai vu cet automne, voici une fois de plus les raisons pour lesquelles le premier film de la suédoise Ninja Thyberg est un must-see absolu pour quiconque s’intéresse au female gaze, à la sexualité féminine à l’écran ou au travail du sexe. Pleasure a l’un des pitchs les plus audacieux et sulfureux qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années, puisque, comme son nom l’indique, il se consacre exclusivement à l’industrie pornographique et à la carrière enthousiaste qu’y mène son héroïne, Bella Cherry. Pourtant, aucun voyeurisme malvenu ne vient ponctuer l’heure quarante que dure le film ; au contraire, Ninja Thyberg s’emploie à démanteler les préjugés que l’on peut avoir sur ce milieu en montrant qu’il s’agit d’un métier et d’une carrière comme les autres, avec ses bons jours et ses mauvais. La réussite du film tient à la façon dont, sans en faire son cheval de guerre, la réalisatrice explore les désillusions de son héroïne lorsque cette dernière se heurte au machisme impitoyable et insidieux de cet univers, et pire encore, à sa propre misogynie intériorisée. Comment ne pas se trahir dans un univers qui se délecte visuellement de la souffrance des femmes ? Ninja Thyberg ne juge pas, n’offre pas de réponse toute faite et se contente de poser un regard à la fois frais et lucide sur son sujet. S’il y a bien un film qui a réussi à encapsuler et à mettre en pratique la notion de female gaze cette année, c’est le sien.