
« I was busy dreamin’ bout boys », chante innocemment Charli XCX, tandis que la caméra zoome sur les entrejambes de cadres blancs et hétéros, affligeants et déchaînés sur un dancefloor de bas étage. Difficile de ne pas se trémousser de joie sur son siège face à cette ouverture aussi cynique que pop : Promising Young Woman donne le ton dès les premiers instants et séduit par sa capacité à mélanger les codes les plus glamour de la pop culture à une réflexion grinçante sur les hommes. Pour son premier long métrage, Emerald Fennell, que l’on connaît comme actrice pour ses rôles dans Vita & Virginia ou encore The Crown, mais aussi comme scénariste pour la série Killing Eve, choisit de frapper fort et de ne pas s’encombrer de détours politiquement corrects ; Promising Young Woman traite purement et simplement de la culture du viol, qu’elle dissèque et analyse sous toutes ses formes durant près de deux heures. Abus sexuels à l’encontre de jeunes femmes droguées ou ivres, non-respect du consentement, slutshaming, pornographie sur les réseaux sociaux, impunité des violeurs, solidarité masculine et complicité passive ou active des institutions : tout y passe. Reprenant les codes du rape revenge, la réalisatrice nous offre un personnage principal résolument amère et en colère, campée par la formidable Carey Mulligan, qui n’a pas le temps d’être désolée ou polie avec les hommes. C’est plutôt le contraire : elle fixe avec insolence ceux qui la catcall dans la rue jusqu’à les mettre mal à l’aise, crache dans le café des prétendants non désirés, fracasse les feux arrières de ceux qui l’insultent sur la route et oh, piège et terrifie ceux qui tentent de profiter des jeunes femmes inconscientes en soirée. Comme toutes les super-héroïnes de l’ombre, Cassandra est cynique, désabusée et désillusionnée ; pour autant, ce n’est ni une girl boss, ni une justicière sexy dont le physique prime avant tout. Son absence de carrière et d’ambition est un non-sujet, malgré les tentatives des personnages de lui faire avouer qu’elle rêve de plus ; sa féminité, qu’elle arbore comme un déguisement, est un terrain de jeu qu’elle explore avec gourmandise et fatalisme, non-ironiquement drapée dans un peignoir rose molletonné. Si Cassandra, comme nous toutes, se laisse parfois prendre aux sirènes d’un univers où les hommes seraient en fait réellement bienveillants envers les femmes, derrière ses mèches blondes et ses robes à fleurs, son cœur déjà mort ne flanche jamais face à l’implacable réalité patriarcale, que la vie ne cesse de lui renvoyer à la figure.

Le film ne repose cependant pas uniquement sur la férocité de son héroïne, afin d’étancher notre soif de vengeance ; il réussit également avec habileté à introduire de la comédie dans le portrait pourtant terrifiant du quotidien féminin. Grinçant, noir et terriblement abrasif, l’humour de Promising Young Woman se gargarise de la médiocrité masculine, qui, si elle est largement dénoncée comme dangereuse, est également montrée dans tout ce qu’elle a de pathétique et ridicule ; c’est le Nice Guy qui se pense différents des autres tout en essayant de vous emmener dans son lit, l’égocentrique qui parle de son roman en devenir pendant des heures, le fils à papa qui pense d’abord à défendre son pote de fraternité avant de s’inquiéter des victimes qu’il fait lors de ses frasques sexuelles. A coup d’aphorismes typiquement masculins, Emerald Fennell distille du sel sur nos plaies tout en réussissant à faire sourire, un pari pourtant risqué ; en prenant à rebours les schémas classiques des comédies sur le sexe adolescent à la American Pie, la réalisatrice parvient à livrer un drame tragi-comique qui ne se vautre jamais ni dans le sexisme, ni dans les raccourcis, mais qui frappe en plein dans le mille la misogynie ordinaire que la plupart des productions américaines grand public banalisent et glorifient. Le film prend aussi le parti d’une esthétique girly et glossy à souhait, afin de s’ancrer solidement dans une pop culture ultra-moderne et léchée : les couleurs vives des costumes de Cassandra, la bande-son très trendy (une minute de silence est requise pour la terrifiante et génialissime reprise de Toxic au violon) et le détournement des codes de la romcom viennent enrober le propos acide de Fennell d’une couche de sucre glace aussi appétissante que trompeuse. Tel un cupcake empoisonné, Promising Young Woman alterne le doux et l’amer, le rose vif et le rouge sang, sans jamais laisser un instant de répit au spectateur.trice.

L’audace et les images travaillées ne faisant pas tout, on regrette néanmoins certaines faiblesses scénaristiques qui viennent quelque peu gâter le goût du gâteau crémeux que se veut le film. Malgré ses bonnes intentions, Emerald Fennell n’est pas exempte des biais de sa classe sociale privilégiée et de sa posture de femme blanche qui tente d’insuffler de la diversité à son œuvre sans y parvenir. On déplore notamment la posture de figurante de Laverne Cox, qui ne semble être là que pour servir de garantie anti-raciste et queer, et qui cumule en tout et pour tout une dizaine de lignes sans intérêt. La sororité, thème pourtant sous-jacent du film, peine à être articulée avec pertinence ; les personnages féminins autres que l’héroïne pâtissent d’une écriture hâtive qui sabote le potentiel fédérateur et empowering de l’histoire. Dans l’univers de Promising Young Woman, les femmes ne valent pas mieux que les hommes -y compris les victimes, et on ne peut que tiquer face à ces portraits peu crédibles, qui laissent la complexité psychologique aux personnages masculins pourtant beaucoup moins intéressants. Cet intérêt prédominant pour le discours des hommes au détriment du bien être des femmes du film se retrouve également dans les scènes de violence envers elles, dont le film n’est malheureusement pas avare. Enfin, la feuille de route de vengeance de Cassandra reste extrêmement questionnable et dérangeante ; le film emprunte d’ailleurs une pente très glissante en refusant d’élaborer à propos de l’instabilité mentale de son personnage principal, qui se perd clairement à mi-chemin de son désir de justice. Anti-héroïne prête à tout, Cassie est cependant loin de la justicière noble et une part d’ombre demeure concernant sa relation avec Nina, dont la complexité émotionnelle se résume à quelques photos de leur enfance commune en fond d’écran et un collier d’amitié. L’exploration des troubles que connaît Cassandra -syndrome du sauveur, dépression, incapacité à faire son deuil- reste ainsi malheureusement reléguée à l’arrière-plan, tandis que la réalisatrice choisit de se concentrer sur les motifs de la masculinité toxique et ses ressorts. Un portrait incomplet donc, mais qui malgré quelques tirades caricaturales, parvient à faire passer un message important, qui ne tient pas uniquement à la dénonciation du viol : en chaque homme se cache un potentiel agresseur, la culture du viol commence chez nous et le happy end hollywoodien amoureux n’existe pas.