Ce mois-ci, on parle de ruptures littéraires, de beauté cherchant à échapper au male gaze et, évidemment, du retour d’Ariana Grande.

En mars, c’était l’anniversaire de Buffy contre les vampires, ma série préférée au monde (à égalité avec Gilmore Girls). Buffy Summers, l’héroïne, est “capricorn on the cusp of aquarius”, mais la série est née en mars, comme moi, et, comme moi, elle a eu 28 ans cette année. Cette coïncidence m’a donné envie de lui écrire une énième lettre d’amour .

Quand j’ai commencé à regarder Buffy (c’est-à-dire à vraiment regarder la série, et pas juste à entrapercevoir des bouts d’épisode pendant la trilogie du samedi sur M6), j’avais 23 ans. Durant l’année que j’ai passé à regarder l’intégralité des 7 saisons de 22 épisodes de 40 minutes (un art qui se perd !), j’ai traversé la fin de mes études, l’arrivée sur le marché du travail, le COVID, le confinement et les prémisses d’une rupture. Dire que Buffy m’a accompagnée dans une période charnière de ma vie de jeune adulte est un euphémisme ; il serait plus exact de préciser qu’elle est devenue ma meilleure amie parasociale et mon double, un personnage dans lequel je me suis retrouvée et pour qui j’ai éprouvé une tendresse incommensurable. Comme moi, Buffy était ballottée par la vie, dépassée par ses écrasantes responsabilités, et se sentait souvent seule et incomprise. De son arrivée difficile à l’université à ses petits jobs ingrats, en passant par sa dépression et l’agression sexuelle qu’elle subit, j’ai souvent eu le sentiment de me voir dans la série comme dans un miroir.
Alors que je m’attendais à découvrir un programme paranormal un peu kitsch et prévisible, j’ai été dès le départ fascinée par la façon dont Buffy contre les vampires fonctionnait surtout comme une vaste métaphore. Les vampires, les pieux, les démons ? Une simple façon de nous parler de coming of age, de ruptures et de solitude. Au fur et à mesure des saisons, ce lien entre la vie intérieur de Buffy et le surnaturel se complexifie, et l’enfer devient une simple chambre d’écho à ses tourments de jeune adulte, si semblables aux miens. Je garde encore un souvenir ému de la saison 5 et de la saison 6, dans laquelle les personnages se heurtent à leurs premières vraies difficultés et à leurs premiers deuils, mais aussi de la saison 4, qui marque l’arrivée de Buffy à la fac. Je trouve que la saveur d’une série se mesure souvent au soin qu’elle apporte au détail et à l’arrière plan, et dans Buffy, tout est admirablement maîtrisé. Point de plot holes, tout a un sens caché, tous les personnages ont un rôle à jouer et peuvent grandir, grandir, grandir jusqu’à devenir cruciaux dans l’histoire. Et ne parlons pas de l’audace formelle de la série : le terrifiant épisode muet (4×10, vrai climax horrifique), le plan séquence le plus terrible de ma vie (5×16, if u know, u know) et, évidemment, l’épisode comédie musicale (6×7)…
Quelle richesse en termes de mise en scène, quelle inventivité, quel bonheur ! J’emporte avec moi toutes les maximes récoltées au fil des saisons comme des petites pierres précieuses. Merci Buffy : merci pour les héroïnes imparfaites, pour les outfits, pour le lesbianisme à l’écran, pour les métaphores sur la santé mentale, pour la place laissée au chagrin, à la psychiatrie, au sexe, merci pour le droit de grandir et de changer, de faire des erreurs et de quand même rester aimable et aimé.e. The earth is so doomed ! (J’ai très peur du possible remake…).
🎞️ Parthenope : du syndrome de Pygmalion à Naples

Ce mois-ci au cinéma, j’ai évidemment vu le très drôle et très réussi Mickey 17 (bravo Robert) mais surtout, je me suis laissée tenter par le dernier film de Sorrentino, Parthenope. Je ne suis pas très familière de l’univers du réalisateur (j’ai seulement vu Youth, que j’ai trouvé rigolo il y a quelques années, sans plus), mais j’ai trouvé que Parthenope s’inscrivait assez bien dans le prolongement de sa réflexion sur la vieillesse, et faisait écho à la promenade dans Rome de La grande bellezza. Dans ce nouveau film, Sorrentino s’intéresse cette-fois ci à la ville italienne dans laquelle il est né, mais aussi à la question de la beauté. Il filme pendant plus de deux heures Parthenope, son héroïne éponyme, incarnée par la très belle Celeste Dalla Porta.
Dès sa première apparition hypnotisante, Parthenope, presque au ralenti, sort des eaux. Impossible de ne pas penser à la naissance de Vénus, déesse de l’amour et plus belle femme de la mythologie : voilà, on sait déja que Parthénope, en raison de son apparence, n’est pas vraiment des nôtres. Son prénom est en fait celui de la sirène mythique de Naples, dont le patronyme vient du grec et signifie “qui a l’aspect d’une jeune fille” (deuxième indice sur le statut du personnage qui, à l’écran, sera (presque) éternellement jeune). Parthenope, dans le film, est décrite comme une jeune femme à la beauté si époustouflante que, petit à petit, elle l’isole du reste du monde. Tout le film ne semble en fait être qu’un prétexte pour glorifier le charme de Celeste Dalla Porta, qui la ségrégue totalement du reste des personnages et de nous, spectateur.ice.s, malgré ses péripéties très terrestres (quelques aventures amoureuses, un deuil, un lien incestueux troublant, une thèse d’anthropologie). C’est un thème qui fait d’ailleurs écho à un très bon épisode de la série Arte Unhappy, intitulé « La promesse de la beauté » et consacré au mythe du bonheur des gens heureux.

Si le film cherche à creuser cet axe et à explorer la solitude qui en découle, ce qui m’a fascinée, c’est la façon dont Sorrentino essaye de nous promettre autre chose que du male gaze, en nous racontant le destin d’une femme qui désire transcender son statut de bel objet, mais échoue. Cette tension à l’écran, entre l’aspiration de l’héroïne à être pleinement sujet et son objectification constante par la caméra, je trouve, fait tout le sel du film. Dans Le regard féminin, Iris Brey définit son concept éponyme comme le fait “d’avoir la sensation de partager [l’expérience] du personnage principal”. “Nous ne la regardons pas faire” écrit-elle, “nous faisons avec elle”. Par opposition, la définition du male gaze imaginée par Laura Mulvey dans “Plaisir visuel et cinéma narratif” en 1975, associe ce dernier à la façon dont la caméra transforme systématiquement l’irruption d’un personnage féminin à l’écran en spectacle voyeuriste.
Qu’elle fume une cigarette, passe un examen à l’université ou fasse du kayak, il est évident qu’à aucun moment, Parthenope ne cesse d’être un spectacle pour nous. Jamais nous ne cessons d’être bouleversés par son visage, digne des plus grandes étoiles du cinéma, pour réussir à nous investir pleinement dans ses actions et à nous identifier à ce qu’elle ressent. D’ailleurs, son comportement n’est pas très relatable : Parthenope, malgré ses envies de professorat et de bonheur, se comporte toujours comme une sorte de créature céleste en voyage sur Terre, qui flotte par delà les désirs et les affects humains.

Malgré tout, et c’est la raison pour laquelle j’en parle ici, j’ai bien aimé Parthenope. J’ai été transportée par sa dolce vita, évidemment, et encore plus par sa très belle bande-son, qui m’a donné envie d’être en été. Mais surtout, en dépit de sa beauté aliénante tout droit sortie du cerveau d’un homme, j’ai été touchée par la trajectoire de l’héroïne. Parce qu’elle tente (en vain) de rejoindre l’humanité, de trouver un sens à sa vie et d’échapper à son destin d’icône dans lequel l’enferment à la fois les autres personnages et le réalisateur, j’ai eu l’impression d’assister au combat symbolique d’une créature se rebellant contre son créateur, un peu comme si la statue Galatée avait cherché à échapper à Pygmalion, son sculpteur fou et épris d’elle (pour celles et ceux qui ne connaissent pas bien le mythe, je vous invite à lire ce très bel article de The Conversation).
En réalité, je ne crois pas que Sorrentino ait cherché à nous parler d’émancipation, et j’ai surtout projeté beaucoup de mes propres questionnements sur le film. Malgré la tension que j’y ai vu, Parthenope/Celeste ne parvient pas à s’extraire du regard magnifiant du réalisateur qui lui a donné vie. Comme Galatée, elle reste prisonnière des affects de l’artiste qui l’a imaginée. Même lorsqu’elle vieillit et pourrait enfin être libérée du joug de son physique resplendissant, le film met un point d’honneur à se conclure sur une énième image de son visage jeune, le figeant à jamais sur nos rétines. Mais ma propre expérience de Parthenope me poursuit et existe, parce que le film, indépendamment de ce que Sorrentino a voulu y raconter, ne lui appartient pas entièrement. Heureusement, Parthenope est aussi un peu à moi, la femme qui la regarde, et moi, je choisis de la libérer et de la rendre heureuse jusqu’à la fin des temps.
📚 Côté lectures : ruptures littéraires et récit de soi
Ce mois-ci, j’ai lu deux œuvres très différentes (un roman en anglais publié en 1983, et un essai en français, publié en 2019), mais qui parlaient toutes les deux de rupture. Dans la première, Heartburn, l’autrice, réalisatrice et scénariste Nora Ephron raconte son deuxième divorce et l’effondrement de son existence lorsqu’elle découvre que son mari, dont elle est enceinte de sept mois, entretient une liaison avec une autre femme. Dans Ruptures, ma seconde lecture, l’autrice et philosophe Claire Marin analyse ce que cela veut dire de se défaire de quelqu’un -ou de quelque chose, ou de soi-même- en convoquant les réflexions théoriques et littéraires sur le sujet.
Dans son essai, Claire Marin parle avec une justesse folle de toute la myriade de sentiments qui traversent celui ou celle qu’elle qualifie “d’être rompu”, c’est-à-dire, celui ou celle qui est quitté.e. Elle y brasse des images et des sensations que, tout en ayant la certitude intuitive qu’elles étaient partagées, j’avais toujours eu la douloureuse impression d’être la seule à expérimenter (avec Taylor Swift, évidemment, qui écrit toujours super bien sur le deuil amoureux. D’ailleurs, Claire Marin cite Hélène Gestern et son livre Un vertige, dans lequel cette dernière écrit qu’elle se sent “comme une feuille de papier froissé”. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Eh oui, “I’m a crumpled piece of paper lying here”, dans “All too well” évidemment !). J’ai traversé mon lot de ruptures, moi aussi, de mes 15 à mes 25 ans (actuellement, je n’en ai pas traversé depuis un petit moment, et je remercie la providence pour cette accalmie). Ces fragments et leur incroyable acuité m’ont renvoyés à des bouts de textes que j’ai moi-même écrits pendant mes séparations les plus terribles, et qui ont trouvé un écho formidable dans le livre de Claire Marin. Comme c’est mon blog et que je peux faire ce que je veux, je vous partage un extrait très drama de mon journal de l’époque :
Je me réveille avec la sensation que quelque chose ne va pas, et presque instantanément, comme si mon cerveau n’avait attendu que ça, que ma reprise de conscience, la pensée que l’on est plus ensemble me frappe. Pire encore, on n’est plus ensemble pour toute la vie. Toute l’infinie durée qui s’étire devant moi, sans toi, sans perspective de retour, sans branche à laquelle me raccrocher. Te dire au revoir me transperce. Je ne dors pas. Je ne mange pas. Je ne rêve pas. Comment recommencer sans toi ? Par quel bout dérouler ce fil infini qu’est désormais ma vie ? J’ai oublié ce que c’est que de ne pas t’aimer. J’ai oublié comment faire pour trouver de la chaleur dans la perspective d’être seule chez moi. Je sais que c’est là, quelque part enfoui en moi, sous des couches et des couches d’amour, de gestes quotidiens répétés comme un ballet -un baiser, une caresse, un sourire, une étreinte. Je cherche à ramasser les morceaux de moi éparpillés tout autour de mon lit. J’essaye de tout assembler de nouveau, d’être une et entière malgré la certitude écrasante du changement, et je n’y arrive pas. Rien n’a de goût, rien ne brille à la lumière de ton absence.
Pour moi, la rupture, comme l’écrit Claire Marin, ça a toujours été la honte, “la honte d’être désormais un objet de honte”, “la dévaluation” et le fait “d’être relégué.e. dans le ghetto de ceux qui ne valent pas d’être aimé.e.s, qui ne le méritent plus”. Terrible, cette formule ; terrible aussi, cette ville fantôme dans laquelle on est forcé.e.s d’émigrer quand on se fait quitter, que l’on devient un.e pestiféré.e entâché.e du désamour de l’autre. Les ruptures de ma vie ont toujours été une source immense de vacillement identitaire. J’ai mis des années à apprendre à ne pas faire reposer tout le socle de ma personnalité sur mes relations amoureuses. “Qui est-on encore quand on cesse de nous aimer ?” écrit Claire Marin. “Puis-je perdre les qualités que me conférait l’amour de l’autre sans me perdre moi-même ?”. Les ruptures, ce sont aussi les “tessons de souvenirs” (une belle expression que Claire Marin emprunte à Vincent Delecroix), ce “kaléiodscope” qui nous hante et qui nous empêche de dormir.
Mais dans son essai, la philosophe réfléchit aussi à ce qu’une rupture veut dire à l’échelle d’une vie et à ce qu’elle implique de recommencement et de liberté. En refusant catégoriquement de tomber dans l’optimisme des livres de développement personnel, qui nous expliquent qu’une rupture est presque une opportunité de devenir la meilleure version de soi, elle accepte que les séparations sont avant tout des traumatismes, des échecs et parfois, de violents gâchis, et cherche une piste de renouveau à l’intérieur de la tempête. De la maladie des autres au chagrin de changer soi-même, en passant par les ruptures familiales et le deuil, elle élargit sa recherche bien au delà du champ romantique et livre une oeuvre puissante, que je conseille à toutes celleux en crise existentielle, romantique ou personnelle, et à toutes les personnes qui souffrent encore d’avoir été quittées (ou qui hésitent à sauter le pas). C’est un de ces textes très providentiels, qui m’a une fois de plus prouvé que James Baldwin avait 100% raison quand il écrivait :
“You think your pain and your heartbreak are unprecedented in the history of the world, but then you read. It was books that taught me that the things that tormented me most were the very things that connected me with all the people who were alive, who had ever been alive.”

Heartburn, le deuxième livre de mon mois de mars, s’inscrit dans un tout autre registre. Nora Ephron est l’une de mes idoles professionnelles, pas seulement parce qu’elle a prouvé dès les années 90 qu’une femme pouvait toucher à tous les domaines artistiques et réussir, mais aussi parce qu’elle a su inventer un univers très personnel et intime, dans lequel elle a perfectionné un storytelling drôle, émouvant et incroyablement malin. Son féminisme, assez cinglant à l’époque, a vieilli, mais il offre néanmoins une plongée intéressante dans un univers socio-culturel bien précis. Si elle a toujours puisé allègrement dans son expérience, ses opinions politiques ou son amour pour la cuisine afin de de nourrir ses récits, Heartburn est sans aucun doute le livre le plus personnel et le plus transparent de Nora Ephron, puisqu’il raconte sans beaucoup d’artifices son divorce avec son deuxième mari, le journaliste Carl Bernstein, et l’infidélité de ce dernier. Dans une préface de 2004, elle écrit :
“Cela fait bientôt vingt-cinq ans que mon deuxième mariage a pris fin, et vingt-deux ans que j’ai terminé le livre que vous vous apprêtez à lire, que l’on qualifie souvent de roman à peine déguisé. Je n’ai pas vraiment de problèmes avec cette description, même si j’ai remarqué au fil des années que les mots “à peine déguisé” s’appliquaient surtout à des livres écrits par des femmes. Soyons honnêtes, Philip Roth et John Updike ont désossé les carcasses de leurs premiers mariages livre après livre, mais à ma connaissance, ils n’ont jamais été frappés de la qualification “à peine déguisé”. (…) Tout le monde me demande toujours : t’en a-t-il [son ex-mari] voulu d’avoir écrit le livre ? Et tout ce que je peux dire c’est : oui, oui il m’en a voulu. Il m’en veut encore. C’est ce qui me fascine le plus à propos de toute cette histoire : il m’a trompée, et ensuite il s’est comporté comme si c’était lui à qui on avait fait du tort, parce que j’ai écrit sur le sujet ! Je veux dire, ce n’est pas comme si je n’étais pas une écrivaine. Ce n’est pas comme si je n’avais pas souvent écrit à propos de moi-même. J’avais même écrit sur lui. Que pensait-il qu’il allait se passer ? Que j’allais faire voeu de silence pour la première fois ?” (Je traduis).
Outre le sel de sa prose, qui vous donne un aperçu du joyeux voyage que c’est d’embarquer à bord d’un livre de Nora Ephron, son introduction soulève des points assez cruciaux, qui font encore sens vingt ans après. Combien de fois a-t-on reproché aux artistes féminines de piocher dans leurs expériences personnelles (et surtout amoureuses) pour nourrir leurs écrits ? Combien de fois a-t-on plaisanté au sujet des compagnons de Taylor Swift dans les années 2000, en les mettant en garde à propos des chansons de ‘vengeance’ qui allaient être écrites sur eux juste ? Aujourd’hui, heureusement, les chanteuses ont la possibilité d’en rire : Taylor Swift s’amuse à prendre le contrepied de ce cliché (“‘Oh my god, she’s insane, she wrote a song about me’” plaisante-t-elle dans la chanson “I Bet You Think About Me”, tandis que dans le documentaire sur sa vie, Miss Americana elle cingle “Sorry, was I loud ? In my own house that I bought ? With the songs that I wrote about my own life ?”), et d’autres pop stars, comme Sabrina Carpenter, ont aussi pris leur parti de cette critique sexiste. “If you don’t wanna cry to my music, don’t make me hate you prolifically” chante cette dernière dans “Please please please” ; je suis presque sûre que Nora Ephron aurait été d’accord.

Mais revenons aux coeurs brisés de nos moutons. Dans Heartburn, vous ne trouverez pas la même douleur lancinante que dans Rupture(s), parce que l’humour de la narratrice, comme Chandler Bing, est clairement son mécanisme de défense face à la violence des événements qu’elle subit. Néanmoins, entre deux commentaires sur les femmes, la cuisine et la vie à Washington dans les années 80, Ephron dessine en creux un portrait acide du mariage, et rappelle aussi le courage que cela demande de faire le deuil d’un projet de vie ou de famille. C’est un constat dans lequel l’autrice s’autorise très peu d’apitoiement sur elle-même, mais où transparaît néanmoins son chagrin. Selon moi, ce témoignage est aussi important que les injonctions à quitter sans se retourner un partenaire toxique ; partir, c’est difficile, même quand c’est nécessaire.
De cette trajectoire éprouvante, Nora Ephron a ensuite tiré le scénario d’un film (du même nom que le roman), plus introspectif, et dans lequel on retrouve Meryl Streep et Jack Nicholson dans les rôles principaux. Même si on sait aujourd’hui que les femmes n’ont pas besoin d’être des girlboss, et que toute souffrance n’a pas nécessairement vocation à devenir de l’art, je trouve que la morale de ce divorce (un livre et un film à succès, l’idée que Nora Ephron a pu être incarnée par Meryl Streep) fait quand même du bien, et offre une petite lueur d’espoir.
💿 brighter days ahead : de l’authenticité dans la pop

Ah, quelle belle période pour être fan d’Ariana Grande ! Quelle décennie ! Non contente de nous avoir concocté le meilleur album pop de 2024 (I stand by it) avec eternal sunshine et d’avoir raflé une nomination aux Oscar, Miss Grande nous a béni ce mois-ci d’une suite musicale tardive, avec la version extended de son disque, désormais intitulé eternal sunshine deluxe : brighter days ahead. Depuis quelques temps les albums deluxe ont le vent en poupe : grâce à “That’s so true” de Gracie Abrams, une chanson bonus qui est devenu contre toute attente le titre le plus populaire de la chanteuse, mais aussi grâce aux tracks “from the vault” de Taylor Swift, le concept s’est imposé comme une des façons les plus sûres de (re)générer de l’excitation autour d’un projet déjà sorti depuis un moment.
Avec brighter days, Ari ne fait pas exception : outre cinq morceaux bonus, nous avons aussi eu le droit à un clip court métrage de 26 minutes, dans lequel elle condense son amour pour la SF rétro et le kitsch. On y retrouve pêle-mêle des souvenirs sous formes de billes à la Minority Report, une renaissance façon Frankenstein et bien sûr, un enlèvement extra-terrestre sur le très, très beau “supernatural” (une partie particulièrement réussie selon moi). Ariana a aussi intitulé une de ses chansons “twilight zone”, en référence à la série des années 50 que nous adorons toutes les deux (je pense qu’elle l’a écrite pour moi !) et qui lui a d’ailleurs inspiré quelques costumes pour Halloween. En somme, elle nous livre un projet incroyablement Ari core, dans lequel il est difficile de ne pas lire un aboutissement musical ; sur Internet, une théorie populaire soutient d’ailleurs que dans brighter days, on retrouve toutes les eras de la carrière d’Ariana, ce qui confirme l’idée d’une apothéose personnelle et artistique.
Sans forcément associer chaque chanson à un moment précis de son parcours, je trouve cette façon d’aborder l’album intéressante, parce qu’il me paraît évident que ces cinq chansons bonus, sans forcément avoir la carrure de single catchy, dénotent une vraie maturité artistique, et bouclent une sorte de boucle dans la vie de la chanteuse. Alors que, selon ses propres mots, les premières années de sa carrière ont été consacrées à consolider sa place dans les charts à coups de titres accrocheurs, une fois le rang de pop star acquis, Ariana a profité de sa notoriété pour migrer vers un endroit où on l’attendait moins. Elle a retourné son image (littéralement : sur la couverture de Sweetener et de thank u, next, ses deux premiers albums vraiment personnels, elle est à l’envers), et s’est mise à sortir des disques très intimes, plus underwhelming que les productions criardes qu’on lui connaissait jusque là.
J’emploie le terme d’underwhelming parce que, malgré son succès mondial et l’attention médiatique dont elle fait l’objet, la plupart des projets qu’elle a sorti depuis 2018 sont assez hybrides ; ils témoignent surtout de la quête d’Ariana pour un storytelling à son image, dont la vibe casual n’est que le jeu de sons et lumières derrière lequel se cache une grande vulnérabilité. positions, son dernier album avant eternal sunshine, s’inscrivait tout à fait la dedans, et a profondément redéfini, je crois, ce que peut être une pop star de l’envergure d’Ariana Grande lorsqu’elle a enfin accès à la liberté créative à laquelle elle aspirait. Le succès très mitigé du disque illustre, en contrepartie, la façon dont la sphère publique n’est pas pensée pour accueillir des figures comme la sienne, qui réarticulent les notions de public et privé. Cette tension entre authenticité et marketing, entre transparence et mise en scène, entre la vraie Ari et la pop star fabriquée par les médias, se retrouve en fait dans toute la discographie d’Ariana, qui exprime régulièrement la douleur de ne pas réussir à être perçue pour ce qu’elle est vraiment. C’est une belle question à poser à la pop culture que celle de la vérité : quand on est scrutée en permanence par la presse depuis l’âge de 15 ans, qui est-on, vraiment ? Où se situe l’essence des pop stars, et peut-on y accéder en tant que fans ?
Avec de nombreuses tragédies médiatiques à son actif (parmi lesquelles on trouve un attentat, la mort de son ex-partenaire Mac Miller et un divorce), la carrière d’Ariana Grande et sa notoriété encapsulent la relation de la presse aux icônes de la pop. C’est une position dont elle est très consciente, et qui a toujours nourri sa musique. Après le flop relatif de positions, Ariana s’est tue musicalement pendant quatre longues années, mais a repris la parole l’an dernier avec eternal sunshine, son septième album, dans lequel elle s’interroge plus que jamais sur notre obsession pour la vie privée des célébrités. Ce projet cimentait aussi sa philosophie à propos de sa surexposition médiatique, qui est celle de la grâce sans compromis. Le morceau “we can’t be friends” explorait sa relation tortueuse aux journalistes, mais sur “yes, and ?”, elle rappelait haut et fort ne pas s’arrêter à ce que la presse pouvait dire d’elle, demandait à être laissée en paix, et proposait avec le titre éponyme de l’album une autre façon de vivre sa vie sous les spotlights : “Won’t break, can’t shake / This fate, rewrite / Deep breaths, tight chest / Life, death, rewind”.
brighter days poursuit cette quête en vue de l’apaisement, et marque une étape importante dans le voyage médiatique de l’artiste : alors qu’en 2020, elle chantait “I’d love to see me from your point of view” (“pov”, positions), elle affirme désormais “I’d rather be seen and alive than dying by your point of view”. Ariana aurait-elle fait la paix avec son aura de célébrité mondiale ? On l’espère (mais évidemment, coincés de l’autre côté du miroir, nous ne le saurons jamais vraiment, et c’est aussi ça qui fait toute la magie de la celebrity culture).

Ce mois-ci, vous pouvez aussi me retrouver
- chez Urbania, pour un article autour des petits copains parfaits des réseaux sociaux
- sur le site de TroisCouleurs, pour un article sur le film Gilda et la figure des sex symbols hollywoodiens
- et dans leur mag papier (gratuit et dispo dans tous les mk2), où je signe un chouette article sur les actrices vieillissantes au cinéma !
On se quitte sur le morceau qui m’a le plus plu dans Parthenope et qui vous donnera, j’espère, du courage à l’aube de l’été
Et vous, quels étaient vos coups de coeur et vos obsessions du mois de mars ?