Putain l’amour c’est chelou wesh
En mars, tandis que le soleil refleurissait les coeurs, j’ai beaucoup pensé à l’art d’être paumée et de continuer à grandir même lorsqu’on est censée être déjà grande : est-ce que c’est s’enfiler des shots comme Adèle Exarchopoulos dans Rien à foutre en écoutant Charli XCX très très fort ? Est-ce que c’est tout risquer et prendre le premier avion sur le terre-plein de l’amour fou, comme Disiz ? Écouter des vinyles en boucle dans son salon comme Rob dans High Fidelity ? Ou est-ce que, comme l’écrit bell hooks, c’est passer tous les jours devant un graffiti qui proclame “the search of love continues even in the face of great odds” et cultiver sa paix intérieure ?

Les youtubeuses dans mes oreilles
Ce mois-ci, j’ai passé pas mal de temps avec Emma Chamberlain, la youtubeuse iconique (dont je n’ai jamais regardé une seule vidéo), qui a lancé son podcast anything goes en 2020 avec une ligne éditoriale très quarantine : égrener ses pensées les unes après les autres, une fois par semaine, depuis son lit. Il s’avère que mon format de podcast préféré est justement le monologue féminin plus ou moins décousu d’une heure or so, sur des sujets comme le bonheur, l’estime de soi ou my inner child qui va mal. Parce qu’elle parle beaucoup de tout et de rien mais aussi de solitude, de célibat, de sa façon d’avancer dans la vie, et parce que l’illustration du podcast ressemble beaucoup à ma vie (une meuf cernée, un lit défait, deux chats), j’ai adoré m’y lover, comme un dimanche soir avec une copine. Emma est drôle, perspicace, et surtout pleine d’autodérision : via les sujets qu’elle aborde de façon très casual, elle me tend un miroir dans lequel je me reconnais en tant que digne millenial. C’était vraiment agréable de traîner avec elle.


Beaucoup de voitures, beaucoup de moto, beaucoup d’amour doux-amer
Mes oreilles ont été bénies en mars par la sortie de deux albums que j’attendais comme les fleurs attendent le printemps : Motomami de la génialissime Rosalía, qui fait cette année son come back quatre ans après la sortie de son premier album, et Crash, de la non moins génialissime Charli XCX, dont le dernier projet, How I’m Feeling now, ne m’avait pas totalement convaincue après le brillant Charli en 2019. Rosalía et Charli sont toutes les deux des artistes aux très fortes personnalités publiques, qui entretiennent l’image à la fois décalée et puissante de visionnaires déjantées de la pop : selon moi, chacune à sa manière, elles ont été très avant-gardistes dans leurs façons de mélanger les influences musicales dans leurs productions et de ne pas avoir peur de dream big en livrant des morceaux bigger than life.
Le concept album qu’est Motomami reflète selon moi la méticulosité et le sérieux de Rosalía concernant sa carrière : chaque morceau est extrêmement bien pensé, les productions sont audacieuses, se répondent, et alternent brillamment la vulnérabilité et l’empowerement -qui sinon elle aurait pu signer Hentai, dont les paroles ultra-crues se déclinent sur des notes de piano mélancoliques ? Même lorsqu’elle récite son abécédaire sur Abcdefg, elle reste fun, légère, envoûtante… sans parler des visuels absolument spectaculaires qui ont accompagné la promo de l’album, des clips à moto en passant par la DA de la couverture. J’adore cette phase bikeuse de Rosalía et ses cheveux rouges, j’ai dansé, j’ai frémi, j’ai pleuré de La fama à Bizcochito en passant par Candy et Como un G -mon morceau préféré de l’album hors single restant incontestablement Delirio de grandeza, pause solaire aux sons cuivrés éclatants.
Crash m’a procuré une autre forme de jubilation, celle qui accompagne l’ivresse de foncer joyeusement dans le mur. Le talent de Charli à mes yeux consiste à prendre les émotions les plus ambivalentes, les plus déprimantes, les moins glorieuses, et à les transformer en hymnes éclatants d’auto-célébration : j’adore qu’elle assume dès le premier morceau éponyme sa volonté de s’autodétruire (“I’m about to crash into the water, gonna take you with me / I’m high voltage, self-destructive, end it all so legendary”), et tout à la fois son égoïsme, son désir, son amour d’elle-même. Pour moi, Crash, c’est ma midlife crisis à mi-chemin entre la vingtaine et la trentaine : avoir conscience de sa valeur, vouloir viser toujours plus haut, mais ne pas trop savoir ce qu’on fait et comment lever le pied. C’est un album que j’ai écouté jusqu’à saturation, jusqu’à ce qu’il finisse par sonner comme une gueule de bois -mais je le remettrai en boucle dès vendredi soir en appliquant des strass sur mes yeux devant mon miroir.


Enfin, plus tardivement, c’est l’album de Disiz -sobrement intitulé L’amour– qui est venu chambouler mon printemps. Sa pochette orange vif a ramené un peu de vitamine D dans ma vie, tandis qu’il me promenait douloureusement dans sa rupture et ses états d’âme, les pieds dans l’eau face au coucher de soleil. “Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage” écrivait Pierre Marbeoeuf en 1628 dans ce poème que j’adore (faisant déja écho aux vers du rap français quatre siècles en avance), et c’est un peu ça. Disiz, lui, assume son amour de l’amour et de l’évasion, peu importe les conséquences : “C’est l’histoire d’un mec qui est prêt à tout pour / Vivre en vrai une histoire d’amour / J’ai tout quitté pour encore une fois, vivre / Une histoire d’amour, oui / Love is a losing game et j’suis prêt à perdre pour / De si beaux jours”, chante-t-il sur Terminal 2, l’excellente seconde partie du morceau Klimt. La mélancolie sied bien à Disiz, qui livre un projet aussi solaire que contemplatif, parlant d’amour sous toutes les coutures -tandis que dans Le Monde, on s’interroge sur le renouveau romantique chez les rappeurs. Dès le premier morceau, le ton doux-amer est lancé, mais il remonte rapidement la pente (et nous aussi) avec Weekend-Loveur ou Beaugarçonne, avant d’atteindre au coeur de l’album la vraie sagesse qui sous tend mon morceau préféré, All in : il faut du temps pour se remettre d’un chagrin d’amour et pouvoir de nouveau donner de soi. La dernière piste éponyme clôt cette balade comme un manifeste à l’envie d’aimer de nouveau, de croire en l’amour pour l’amour de l’amour, tout simplement. C’est plein de vulnérabilité, c’est doux, c’est beau.
De l’art d’être une jeune femme à l’écran (et de mon amour pour Zoë Kravitz)

Les films qui m’ont beaucoup marqué au mois de mars parlaient toutes de jeunes femmes et de la façon d’exister en tant que telle. Que ce soit la lumineuse Adèle Exarchopoulos, ballotée de rivage en rivage dans Rien à foutre, Mei Lee, la préado impétueuse de Turning red, Sabrina, l’héroïne en noir et blanc du trio amoureux de Billy Wilder ou encore Noa entre deux dates fumeux dans Fresh, les jeunes filles étaient partout autour de moi ; j’ai partagé des petits moments de vie avec elles et j’ai pioché dans toutes ces oeuvres des leçons diverses et variées.

J’ai adoré Rien à foutre, le film de Emmanuel Marre et Julie Lecoustre et son absence totale de prétention : pour une fois, aucun jugement n’était porté sur les errances du personnage principal, qui, bien qu’elle voyage sans cesse, n’a aucune destination -et s’en fiche totalement. Enfin, pas totalement, mais au pire, elle peut toujours prendre une cuite et coucher avec un mec de Tinder pour s’oublier un peu. Et qui sommes-nous pour lui dire quoi faire ? Le propos grinçant de Mimi Cave sur la culture du dating, cependant, fait réfléchir à la sécurité de cette possibilité. Fresh est un film aussi drôle que glaçant, qui m’a fait rire pour ne pas pleurer et m’a terrifié non pas par son horreur littérale, mais pour ce qu’il dit entre les lignes de la consommation du corps des jeunes femmes, de la peur au ventre le soir, de notre envie d’être aimé.e.s. Mei Lee, elle, m’a rappelé la petite fille que j’ai été un jour, avant de perdre confiance en moi et d’intégrer l’idée que je devais rentrer dans le moule : j’ai adoré le fait que le film ne la force jamais à renoncer à son exubérance et en fasse, au contraire, une force. L’amitié féminine à l’aube de l’adolescence, dans toutes ses obsessions, y est aussi extrêmement bien dépeinte, tout comme les relations qui se tendent avec les mères, lorsque l’on commence à se détacher d’elles et de leurs valeurs. Enfin, Sabrina (Audrey Hepburn n’a jamais été plus belle) m’a aussi parlé d’adolescence, de désir, d’envie de vivre et de se fondre dans le monde : je me suis beaucoup reconnue dans cette héroïne qui fantasme longtemps le moment où elle se fera enfin remarquer, où elle commencera à exister -tout ça pour réaliser finalement que tout ce qui brille n’est pas d’or.

La femme avec laquelle j’ai le plus passé de temps ce mois-ci, cependant, reste incontestablement Zoë Kravitz (pour qui je nourri une obsession de longue date remontant à mon premier visionnage de Big Little Lies), malgré ses commentaires désobligeants sur les Oscars (Zoë, baby what! are you doing) ; trois heures devant Batman, c’était un sacré engagement de ma part. Elles sont cependant plutôt bien passées, malgré quelques lenteurs par moment ; j’ai beaucoup aimé la bande-son, l’opening planant avec Nirvana, le look emo de Robert Pattinson et l’ambiance très David Fincher, mais surtout, surtout, j’ai aimé Catwoman, qui m’a donné envie de faire un cat’s eye tous les jours et de porter une coupe à la garçonne. Le meilleur moment du film restait peut être l’après, quand j’ai regardé toutes les interview des deux co-stars, du plus conventionnel au plus bizarre, rien que pour savourer leur alchimie en dehors de l’écran (bien plus forte que celle du film, malheureusement).
Et puis j’ai de nouveau regardé la mini-série High Fidelity, pour traîner fictivement avec Rob, mon anti-héroïne égoïste et paumée préférée et ma meilleure amie para-sociale. C’était aussi l’occasion de me confronter au film original pour comprendre les quirks de cette dernière (bilan : la série est bien mieux). La première fois, j’en avais tiré un article où je liais mes lectures d’Eva Illouz et le propos de la série sur le casual dating ; cette fois-ci, j’ai surtout écouté la bande son, réfléchit à la misogynie intériorisée de Rob et à l’adulescence perpétuelle dans laquelle elle semble flotter dans sa trentaine. Je crois que ça me rassure d’aimer des personnages comme elle et d’avoir des modèles imparfaits de jeunes trentenaires qui galèrent encore.

Love is a love does
Dès les premiers rayons de soleil, je me suis empressée de commencer le mini-livre de Philippe Delerm, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules. C’est une lecture qui ne paye pas de mine mais qui en vaut la peine : condensés en une centaine de pages, vous y trouverez une collection des petits plaisirs de la vie, dont le premier est certainement le livre en lui même, son papier couleur crème typique des éditions Gallimard, son grammage épais, sa couverture un peu rugueuse -bref, le livre de poche idéal mais aussi le bel objet littéraire, aussi délicieux qu’un bon verre de vin. Datant déja de vingt-cinq ans (comme moi), il a aussi ce petit côté vintage qui m’a surtout rappelé les vacances chez mes grands parents et leur art de vivre à la provinciale des années 60 : cueillir les mûres au début de l’automne, porter des pulls-over qui grattent, dire bicyclette au lieu de vélo, ne pas avoir de smartphones ni Internet et lire Agatha Christie avant de s’endormir dans le grenier. C’est un ouvrage qui se savoure plus qu’il ne se lit : il faut l’ouvrir sur un banc dans un parc, sur une pelouse ensoleillée, les pieds dans l’eau, au moment où le ciel devient mauve. C’est un livre d’été qui donne envie d’être heureux.

Néanmoins, le livre que j’ai le plus aimé ce mois-ci était l’essai All about love de bell hooks (qu’on m’a offert pour mon anniversaire parce que je n’arrivais pas à le trouver en librairie depuis sa mort… en totale rupture de stock). La sociologie amoureuse est un thème qui me tient beaucoup à cœur et j’avais vraiment hâte de découvrir le propos d’une de mes autrices afro-féministes et pédagogue préférées à propos du sentiment qui m’occupe le plus, dans ses hauts et ses bas. Dans All about love, bell hooks couvre un peu tous les sujets : le rôle de l’enfance dans les schémas amoureux, la masculinité, les piliers émotionnels qui permettent d’avoir des relations amoureuses honnêtes, le rôle que joue l’amour dans nos vies. J’y ai retrouvé tout ce que j’aime dans son écriture : l’accessibilité, l’intime, la célébration des émotions, mais aussi son pragmatisme habituel, qui rend selon moi son propos si intéressant et si universel. Sa définition de l’amour m’a particulièrement marquée et m’a offert une piste d’action pleine de sensibilité et de sagesse : l’amour, écrit-elle, c’est un verbe, et non une émotion. C’est (elle cite le psychiatre Scott Peck) “la volonté d’une personne de se déployer dans le but de nourrir le développement spirituel de l’autre et le sien” (“the will to extend one’s self for the purpose of nurturing one’s own or another’s spiritual growth”). “Love is a love does” : l’amour est un acte d’amour. Il faut le considérer comme tel pour placer justement les limites entre nous et les personnes qui nous font du mal. De ce point de départ, il découle un ouvrage très riche, à mi-chemin entre le développement personnel et la réflexion sur le sentiment amoureux dans toute sa complexité, capable de guérir et qui séduira je pense les amoureux.euses de l’amour -comme Disiz, ou moi.
On se quitte justement sur ses mots, qui sonnent comme le manifeste d’une vie heureuse :
❤ à dans un mois !