LICORICE PIZZA : AND THE FILM IS A SADDENING BORE

Malheureusement, je ne comprends rien au cinéma. Je n’ai jamais su reconnaître un bon film lorsque j’en voyais un.

Coming of age joyeux, drôle et nostalgique : les adjectifs pour vanter les mérites du nouveau film de Paul Thomas Anderson ne manquaient pas dans la presse ces dernières semaines. Résolument plus adolescent que son long métrage précédent, Phantom Thread (2017), Licorice Pizza se proposait d’effectuer un virage à 180 degrés et d’adopter un ton plus léger, plus pop et plus solaire, sans forcément abandonner les thématiques déjà présentes à l’écran il y a quatre ans : le portrait d’une époque, d’un milieu et surtout, d’une relation non-conventionnelle. Là où les personnages d’Alma et Reynolds déroulait le fil d’une histoire d’amour toxique, marquée par l’emprise exercée par un couturier influent sur sa muse et épouse de trente ans sa cadette, Licorice Pizza se propose de renverser les rôles et d’explorer les liens qui peuvent se tisser entre une jeune femme de 25 ans et un adolescent de 15 ans. Un pari intéressant, qui a le mérite de passer en revue toute la gamme d’émotions contradictoires que l’on peut ressentir dans la vingtaine, âge étrange où l’on ne se sent pas tout à fait adulte même si on en est un.e. Alana Haim brille ici de mille feux et porte à la perfection le costume de cette jeune femme vaguement perdue, qui n’a ni boulot, ni ami.e.s à part ses (vraies) soeurs, ni ambition. Le temps d’un été désoeuvré, elle se laisse tenter par la possibilité de replonger dans les affres d’une adolescence qu’elle ne parvient pas à mettre derrière elle, et effectue une marche arrière émotionnelle aux côtés de Gary, 15 ans, enfant-acteur arrogant et sûr de lui. Dès le début du film, qui s’ouvre sur leur rencontre, ce dernier n’a qu’une chose en tête : faire succomber Alana à ses charmes (modestes), puisque, comme il l’explique à son petit frère, elle est la femme qu’il va épouser même si elle ne le sait pas encore (une tirade au paternalisme écoeurant mais qui encapsule tout à fait l’optimisme amoureux des adolescents). Malgré ses réticences, Alana se retrouve happée dans le tourbillon d’énergie, de confiance et de joie qu’est Gary ; rien de tel que l’admiration sans bornes d’un homme pour booster son ego, et Alana, comme la plupart d’entre nous, carbure à la validation masculine (“But I’m sexy, right ?” demande-t-elle ainsi à Sean Penn). 

Bien que surprenant, le pitch de Licorice Pizza avait du potentiel ; dans un univers parallèle, il aurait pu explorer l’amitié qui se lie entre Alana et Gary avec plus de réalisme et de jugeote, et s’en servir pour dresser un portrait nuancé de la vingtaine, de son lot de déceptions, de la nostalgie adolescente qui l’accompagne parfois et de l’injonction à grandir. Néanmoins, en choisissant de faire de la relation entre les deux héros une histoire d’amour envers et contre tout (c’est à dire envers et contre la loi), le film s’engage sur une pente glissante : celle de la pédophilie. Un mot pourtant étrangement absent des critiques à propos du film : le New York Times lui préfère l’expression “galipettes échevelées” (shaggy romp), le site Au Review le qualificatif de “subversif” tandis que The Guardian écrit qu’ “au milieu de toute cette folie, l’étrange couple central demeure crédible”. Peut-être est-ce mon expérience actuelle de jeune femme de 25 ans qui m’empêche de clairement voir les choses en face, mais de tout les adjectifs que j’aurais pu choisir pour décrire cette romance, “crédible” aurait probablement été tout en bas de la liste. Spoiler : ce n’est pas parce que l’adulte est une femme que les relations avec des mineur.e.s en sont pour autant consensuelles et acceptables -et non, le concept de majorité sexuelle ne me convainc pas. L’attirance de Gary envers Alana est compréhensible, mais vraiment dégoûtante : elle a tout de l’obsession sexuelle de l’ado pré-pubère qui ne pense qu’à voir sous les jupes des filles. Si les plans de la caméra sur le bas ventre d’Alana ou sa poitrine, que Gary hésite à toucher quand elle dort à ses côtés, ne traduisent pas suffisamment ses pulsions, ce dernier les exprime très clairement lorsqu’il insiste auprès d’Alana pour qu’elle lui montre ses seins et qu’il ajoute, lorsqu’elle cède, excédée, “je peux les toucher ?”. En ce sens, Licorice Pizza relève plus du fantasme adolescent que de l’histoire d’amour ; le film s’achève d’ailleurs sur la confession tant attendue d’Alana qui murmure “I love you Gary”, tandis que l’on n’entendra jamais ce dernier lui retourner le compliment. Ajoutez à cela quelques blagues mal senties sur le racisme anti-asisatique et l’antisémitisme, une structure narrative sans queue ni tête, 30 minutes de trop et une scène où Alana parade gentiment en maillot pour faire plaisir à Gary et vous atteignez la limite de ce que je peux encaisser en termes de subversivité. “C’était les années 70”, rétorqueront les puristes du cinéma. “Les choses étaient différentes”. “Anderson déploie ces stéréotypes sans donner son avis (…), avec juste ce qu’il faut de timing et d’attention pour faire comprendre qu’il prend un malin plaisir à hérisser le public contemporain”, commente le New York Times. En écoutant ma salle de cinéma s’esclaffer aux blagues les plus racistes et les plus grivoises du film et en lisant les critiques élogieuses à son propos, je me suis demandée si le public contemporain se sentait réellement hérissé. Le challenge intellectuel du cinéma indépendant américain consiste-t-il à permettre aux réalisateurs blancs de subvertir le racisme et le sexisme pour en faire un procédé comique ?

Certes, l’esthétique seventies/california dreamin’/summer of love de Licorice Pizza est plaisante ; l’image et l’étalonnage sont irréprochables et Paul Thomas Anderson nous offre généreusement des plans séquences maîtrisés et des ciels d’été bleu lavande. La bande son, qui compile David Bowie, Sony & Cher, Nina Simone et Chuck Berry, est si bien pensée que c’en est presque trop pour nos oreilles -mais on n’en attendait pas moins d’un film dont le titre rend hommage au vinyle. En faisant figurer de nombreuses personnalités de l’époque dans son récit et en y incorporant les événements marquants du moment, le réalisateur justifie la pauvreté de son scénario en assumant sa volonté de dépeindre une période plus qu’une histoire. Mais là aussi, le bât blesse : après Inherent Vice en 2014, Vinyl en 2016 et surtout Once Upon a Time… In Hollywood, sorti en 2019, il me semble difficile d’apprécier la fraîcheur de cette lettre d’amour à une décennie déjà extrêmement présente dans le paysage culturel de ces dernières années. Sommes-nous condamné.e.s à revivre en boucle la jeunesse fantasmée de réalisateurs fascinés par la permissivité et la liberté d’une époque où le politiquement correct, tel que nous l’expérimentons aujourd’hui, n’existait pas encore ? Qu’il y-a-t-il de si fascinant à Hollywood dans les années 70 ? Les sectes ? Polanski avant la cancel culture ? La libération sexuelle des jeunes femmes sous pilule ayant lu The Feminine Mystique, dont il  est désormais possible de montrer les seins à l’écran ? Il serait peut être temps que le cinéma arrête d’idéaliser le soi-disant âge d’or californien des années 1970, et que les critiques de cinéma cessent d’encenser les films qui en parlent juste parce qu’ils leur rappellent leur (lointaine) adolescence.

Pour finir sur une note positive, je vous propose de nous réconcilier autour d’un de mes morceaux préférés de Haim (et un autre), car s’il y a bien une chose qui m’a ravie, c’est leur présence à l’écran. En attendant leur prochain film, on peut toujours se régaler de leurs meilleurs tubes (et des clips qui les accompagnent : Paul Thomas est à la réal).