Ce mois-ci, quelques mots en vrac sur les trois films que j’ai vus au cinéma, sur un classique féministe sous-estimé et sur le dernier album de Justin Bieber.
L’été se poursuit et avec lui, le miracle de mon année : plus de temps pour aller au cinéma. Retours sur ce que j’ai vu et aimé ce mois-ci, mais avant, prenons le temps d’une chanson pour ne pas oublier de ralentir :
Materialists

Alors qu’on l’attendait tous.tes au tournant comme l’un des films les plus excitants de l’année, presque toutes les personnes autour de moi qui ont vu Materialists, le deuxième film de Celine Song, ont été déçues. J’entends vos critiques : oui, le film cède aux sirènes d’une hétéronormativité vue et revue, oui, il réduit l’amour à un choix entre riche et pauvre, oui, son propos sur la solidarité féminine et les violences faites aux femmes reste tiède.
Malgré tout, je dois dire que j’ai bien aimé Materialists. J’y ai furtivement aperçu ce qu’il aurait pu être vingt ans plus tôt, s’il était sorti à l’époque des grandes romcoms des années 2000 : un long-métrage au rythme new-yorkais effréné, sur la même B.O que celle du Diable s’habille en Prada, avec un ton mordant et des héro.ïne.s carriéristes, cyniques, qui ne croient plus à l’amour, jusqu’à ce que… Au lieu de ça, Materialists prend son temps pour s’installer. On est à New-York, mais c’est une mégalopole feutrée et solaire que nous donne à voir Celine Song ; les plans sont larges, les bruits étouffés, les booth tamisés… Nous sommes résolument du côté de l’intime.
L’an dernier, Will Gluck reprenait dans Anyone But You la même recette que pour ses romcoms précédentes (on lui doit aussi Just Friends et Easy A) ; Celine Song, elle, cite de nombreuses adaptations de Jane Austen comme sources d’inspiration et renoue avec la tradition sacrée de la romcom du siècle dernier, qui s’inspirait souvent des grandes oeuvres de la littérature (Clueless comme transposition de Emma ; 10 Things I Hate About You comme adaptation de La Mégère apprivoisée ; Easy A comme relecture de La Lettre Écarlate, etc, etc). Impossible d’ailleurs de ne pas penser à Sense and Sensibility en regardant Materialists, qui ne fait au fond que rejouer l’éternel dilemme entre le cœur et la raison. Pourtant, si le film emprunte au genre certains de ses clichés (le happy end, le triangle amoureux), la réalisatrice y insuffle aussi autre chose, au point que le côté comique, bien que présent, s’efface progressivement et laisse place à une histoire plus douce, plus amère.

Le film hésite, trébuche souvent, et n’a pas le courage de ses propres convictions, certes, mais pour ma part, je l’ai vu comme une sorte de réflexion sur nos capacités modernes à nouer des relations plus que comme une histoire d’amour ; il m’a fait penser aux contes philosophiques de Rohmer, bavards, ténus, bourgeois, aussi. C’est un propos qui n’a rien d’étonnant quand on se rappelle que Celine Song se posait déjà les mêmes questions dans Past Lives, son délicieux premier film, où elle interrogeait l’identité des personnes bi-culturelles et immigrées, mais aussi et surtout la notion de choix amoureux. Materialists s’inscrit indéniablement dans la lignée de ce premier long-métrage, avec le même triangle amoureux, la même rencontre entre présent et passé. En réalité, les deux films défendent tous deux une vision optimiste du couple et du mariage comme refuge face à la brutalité du monde moderne.


Ennuyeux ? Sûrement. Conservateur ? Oui. Héteronormatif ? Sans aucun doute. Celine Song est peut-être une réalisatrice immigrée américano-coréenne, mais elle n’en reste pas moins le visage d’un certain cinéma indépendant et privilégié, et elle offre au monde le point de vue d’une femme hétérosexuelle, mariée, évoluant dans les sphères de la bourgeoisie intellectuelle urbaine de gauche (ses deux parents sont artistes et cinéastes, elle est passée par Columbia, et son époux, diplômé de Brown, est dramaturge et scénariste). Il va sans dire que son film est incroyablement situé et qu’elle l’écrit depuis un endroit bien précis (celui des gens pour qui New-York peut être une ville feutrée et solaire). On peut être déçu.e. du résultat, mais au fond, Past Lives, qui butait déja sur les mêmes angles morts de classe sociale, contenait en puissance le propos de Materialists ; pour moi, c’est passer à côté de l’oeuvre de Song que d’en attendre quelque chose d’explosif sur ce plan là.
Est-ce une raison suffisante pour lui en vouloir ? Peut-être, mais je pense aussi que si on pardonne à Will Gluck d’avoir casté Sydney Sweeney et Glen Powell dans Anyone But You seulement pour nous abreuver de leur blancheur, de leur minceur et de leur beauté hollywoodienne (“Je me sens flasque et j’ai envie de faire du sport” avais-je résumé à l’amie avec qui j’avais vu le film en sortant de la salle), je crois qu’on peut pardonner à Celine Song de ne pas révolutionner à elle seule le genre de la romcom hétéro. Pour ma part, j’ai trouvé que malgré ses limites, le film interrogeait la brutalité de nos rapports amoureux contemporains, et offrait un postulat (certes naïf mais) réconfortant : l’amour rend heureux. Tout simplement. A l’heure des applis de rencontre, des présidents d’extrême droite et de la Troisième Guerre mondiale, on l’oublie souvent, mais ça n’en est pas moins vrai. Et je crois que c’était suffisant pour me mettre de bonne humeur pour le reste de la journée.

Dangerous Animals
Je n’ai jamais été une grande passionnée des films de requins, parce que crois que ce que j’aime dans l’horreur, c’est l’incertitude et la menace voilée, et que dans les histoires de prédateurs marins, on sait dès le départ à quelle sauce on va se faire manger. Néanmoins, une fois n’est pas coutume, je me suis régalée devant ce film américano-australien, qui trouve le juste équilibre entre fun et adrénaline. Le plot ne casse pas trois pattes à un canard, mais il a le mérite de revisiter le genre en déplaçant un petit peu le curseur : cette fois-ci, le monstre, ce n’est pas le requin, c’est l’homme. Exit les Mégalodons et autres créatures à grandes dents, dans Dangerous Animals, celui qu’il faut craindre, c’est Tucker, le propriétaire d’un bateau de pêche qui s’est spécialisé dans l’attraction “nager avec les requins” pour touristes. Bémol : son plaisir coupable, c’est en réalité de kidnapper des jeunes filles, de les offrir en pâture à ses amis aquatiques, et de filmer le tout.
Via ce dispositif de film dans le film, Dangerous Animals questionne gentiment le plaisir scopique (très genré) que nous éprouvons face à des victimes dévorées de façon ultra-gore -et qui est peut-être encore plus grand que quand nous les voyons périr aux mains d’un tueur en série. Il y a quelque chose de profondément malsain et de jouissif à voir nos peurs les plus terribles mais aussi les plus réalistes prendre vie de façon implacables dans ces films (bien que, rappelons-le, la probabilité d’être dévoré par un requin est de 1 sur 4,3 millions, et qu’on a 50 fois plus de chance d’être frappé par la foudre ; néanmoins, les requins sont nombreux et très concrets, tandis que les tueurs à tronçonneuse, un peu moins). Dans Dangerous Animals, cependant, point de morts super sanglantes, car si le film ne résiste pas à la facilité de sacrifier des personnages féminins, il a la décence de nous épargner le pire, et met en scène des attaques somme toute plutôt réalistes. C’était un bon point selon moi, car j’avoue que malgré mon amour pour le film de genre, j’en ai soupé de voir de jolies jeunes filles se faire dépecer à l’écran.
A la place, Dangerous Animals fonctionne comme un survival movie, porté par une héroïne van life plutôt cool, et surtout, par la performance assez chouette de Jai Courtney dans le rôle de ce psychopathe débonnaire. C’est prévisible, il y a un arc narratif amoureux vraiment inutile et ce n’est pas un grand film, mais c’est bien rythmé, les twists fonctionnent et les requins sont enfin présentés pour ce qu’ils sont vraiment (des animaux qui ne disent pas non à un casse-croûte gratuit, mais qui ont aussi autre chose à faire que de réaliser vos fantasmes les plus morbides. Non mais !)

Sorry, Baby
Last but not least, ce mois-ci, j’ai aussi été voir Sorry, Baby, que j’attendais avec impatience parce qu’il cochait toutes les cases d’un film indie cool (écrit, réalisé et interprété par une personne non-binaire, produit par A24, projeté à Sundance). J’ai été très touchée par la cinématographie intimiste et douce d’Eva Victor, dont il s’agit du premier film. Le réalisateur.ice s’empare du sujet des VSS via un angle que l’on connaît déjà, mais lui apporte une pudeur, une sensibilité et (oui) un humour pince-sans-rire assez bienvenus. En se concentrant sur l’après et le long-terme, Eva Victor explore avec beaucoup de tact les conséquences des violences auxquelles on ne pense pas souvent (la parano, l’impression de n’être pas en sécurité chez soi, la fascination pour les oeuvres qui rejouent notre traumatisme, les petites occurrences de souvenirs indésirables, jusque des années plus tard).
Je suis évidemment tombée amoureuse de l’héros.ïne, Agnes, un.e doctorant.e en littérature, victime d’un énième mentor aussi charismatique que malhonnête -une autre “promising young woman” fauchée dans l’élan de sa jeunesse par un événement difficile, et qui bataille pour trouver le chemin d’une guérison qui lui ressemble (en cela, elle m’a d’ailleurs beaucoup fait penser au personnage de Daisy Ridley dans Sometimes I Think About Dying). Surtout, j’ai été extrêmement touchée par le portrait de la relation entre Agnes et sa colocataire, Lydie, interprétée par la géniale Naomie Ackie, que l’on croisait aussi cette année dans Mickey 17. J’aurais aimé que le film laisse encore plus de place à leur amitié, écrite avec beaucoup de justesse : la proximité, les rires, les longues balades, mais aussi la difficulté d’être éloignées à l’âge adulte ou de ne pas apprécier le ou la partenaire de l’autre. Néanmoins, c’est aussi ça la réalité des amitiés à la sortie de la fac : un refuge incroyable malmené par les nécessités du quotidien et la distance.
Certes, le film se complaît dans des petits éclats d’intelligence très A24 (je me serai bien passée du monologue sur les pénis, par exemple), mais la dernière scène du film, dans sa justesse douce-amère, m’a émue aux larmes. Difficile de souhaiter le meilleur aux petites filles, car on est à un âge où l’on a compris, désormais, qu’aucune de nous n’était à l’abri de la violence ; mais comme le dit très bien Agnes, on peut se faire le cadeau de la compréhension mutuelle et du compagnonnage, et ça, c’est déjà beaucoup.

Monster
Hors actu, j’ai aussi découvert le film de Patty Jenkins, Monster, dont j’entends parler depuis des années sans jamais prendre le temps de le voir… Et quel voyage ! Je savais que je n’embarquais pas à bord d’une comédie romantique, puisqu’on y suit la descente aux enfers et les tueries d’un couple lesbien, composé d’une TDS sans domicile fixe et d’une jeune femme reniée par ses parents, mais la noirceur du film m’a quand même terrassée. Tout en étant incroyablement pessimiste, le film offre un visage très réaliste du patriarcat et le montre pour ce qu’il est vraiment : un monde où les femmes, les personnes queer, précaires et les travailleur.euses du sexe n’ont absolument aucune chance et sont discriminées de façon systémique. La tentation de la violence est forte, car ni la justice, ni la police, ni la famille ne peuvent offrir de secours. Lorsque Lee, l’héroïne, une trentenaire qui est contrainte de se prostituer depuis l’adolescence, s’autorise enfin à riposter en s’en prenant à ceux qui la maltraitent depuis des années, une brèche pleine de possibilités s’ouvre, et on s’y engouffre avec elle.
Monster est sans aucun doute le Thelma et Louise des personnes marginalisées : il raconte la même fuite en avant de deux femmes unies dans leur volonté d’en finir avec la société, mais se départit du vernis hollywoodien qui recouvre encore le film de Ridley Scott et qui lui a permis de devenir l’un des classiques du XXème siècle. Si Thelma et Louise représente la subversion acceptable, politiquement correcte, qui ne déborde pas trop, Monster envoie tout valser et va creuser du côté des choses qu’on n’a pas envie de voir à l’écran. Je sais qu’il a remporté de nombreux prix (dont beaucoup récompensent surtout la performance très “method acting” et Oscarisable -mais néanmoins bluffante- de Charlize Theron), mais je suis surprise qu’il ne soit pas plus cité aujourd’hui dans les tops de films féministes, qui lui préfèrent inlassablement le film bien plus sage de Scott. Inspirée par la véritable histoire de la tueuse Aileen Wuornos, avec laquelle elle a correspondu, la réalisatrice Patty Jenkins, elle, n’invente rien : elle cherche au contraire à contextualiser une réalité dans laquelle les bons sentiments n’ont pas leur place, et redonne (littéralement, car le personnage de Lee est aussi narratrice) une voix à des communautés invisibilisées, en nous offrant une violence bien plus révolutionnaire. Il va sans dire que le véritable monstre de l’histoire, ce n’est pas Aileen Wuornos, c’est le film en lui-même et son rapport explosif aux conventions, et ça faisait du bien de le laisser entrer. Mention spéciale aussi à la scène absolument incroyable sur « Don’t Stop Believing », le (seul) petit moment d’optimisme à rollers qui m’a donné des frissons.
SWAG de Justin Bieber

J’en parlais déja un peu sur Instagram, mais ce mois-ci, le retour musical de Justin Bieber m’a replongée dans la nostalgie des années 2010. Je n’ai jamais été une Belieber mais quand il a sorti son premier single, “One Time”, j’avais onze ans -un âge délicat et impressionnable qui faisait de moi la cible parfaite de tous les boys bands et jeunes chanteurs de la Terre. Comme tous les préados de ma génération, j’ai été marquée par l’ascension médiatique de Justin Bieber, star ambivalente, victime des pires moqueries (homophobes) de la part des médias et des adultes, mais dont le succès battait tous les records. J’ai téléchargé ses singles en secret pour les ajouter à la bibliothèque de mon Ipod Nano, aux côtés des titres de Miley Cyrus, de Hilary Duff et de Taylor Swift, et j’ai suivi de loin les sorties consécutives de “My World”, “My World 2.0” et surtout de “Believe”, un quatrième album aux allures de manifeste, porté par des bangers comme “As Long as You Love Me” ou “Boyfriend”. Sa relation avec Selena Gomez (la pop star que je trouvais la plus classe et dont je stalkais les outfits sur des Skyblogs de fans) a été l’une des constantes de mes jeunes années, et un peu comme s’ils étaient mes parents ou mes amis de substitution, j’ai rêvé qu’ils ne se séparent jamais. I was exactly like the other girls !!!
Voir Justin Bieber revenir sur le devant de la scène (critique, car il n’a jamais disparu : son album précédent, Justice, datait seulement de 2021) ne m’a évidemment pas laissée indifférente. Ces dernières années, il a été au coeur de tellement de polémiques qu’on en oublierait presque qu’il est au départ un musicien ; de son mariage à son implication dans l’affaire Diddy en passant par ses problèmes de santé, la presse et Internet se sont acharnés à le dépeindre comme un ex-enfant star déchu, bon à jeter à la poubelle. Pour ma part, je me dis souvent que c’est un miracle qu’il n’ait pas plus mal tourné et qu’il soit encore en vie, car je ne pense pas qu’on puisse imaginer l’horreur des coulisses d’une vie comme la sienne -un sentiment qu’il explorait déjà sur le terrible morceau “lonely” (“’Cause I’ve had everything / But no one’s listening / And that’s just lonely / I’m so lonely”).
Quid de SWAG, un septième album au titre clin d’œil à ses jeunes années et à l’esthétique de jeune himbo que Bieber a si longtemps personnifié ? Comme le disait Lolita Mang, journaliste culture chez Vogue, le disque doit beaucoup à la guitare et au travail de producteur de Mk.gee, qui a aussi collaboré avec des artistes comme Omar Apollo (que j’adore). Il insuffle une touche indie audacieuse à la musique de Bieber qui, jusque-là, se cantonnait à une pop un peu conventionnelle et à des productions tonitruantes. Dans la douceur et la sensualité de l’album, on retrouve aussi, je trouve, l’influence et le miel de Daniel Caesar, autre producteur attitré, qui a probablement permis au disque de prendre cette tournure intimiste. Ajoutez à ça Dijon, la nouvelle sensation américaine du gospel indé, et Carter Lang, le producteur de SZA, et vous obtenez une dream team musicale, qui montre que Justin Bieber a enfin réussi à s’émanciper de l’influence de Scooter Braun, avec qui il a cessé de travailler en 2023.
SWAG n’est pas parfait, mais il révèle une facette musicale du chanteur plus sensible et plus mature (même si les interludes où l’on entend l’humoriste Druski lui expliquer qu’il est “noir à l’intérieur” sont affreusement gênants) ; il prouve que l’ex-idole des ados, désormais trentenaire et père de famille, est capable d’offrir un autre débouché à son charme légendaire (qui continue de transpirer dans tous les titres de ce disque, soyons honnêtes) et de le mettre au service de projets plus aboutis. Je lui souhaite sincèrement toute la reconnaissance critique qu’on lui a si longtemps refusée, et je suis curieuse de la suite.

Ce mois-ci, vous pouvez aussi me retrouver :
- dans le dernier numéro de SoFilm, où je signe un article sur ma bien aimée Trilogie du Samedi
- sur le site de Urbania, où je m’interroge à propos de notre usage du therapy talk
On se quitte sur « Don’t Stop Believing », évidemment :
Et vous, quels étaient vos coups de coeur et vos obsessions du mois de juillet ?