Dance til you find that divine boogaloo… and then cry
Et si on commençait par la chanson que j’ai le plus écouté ce mois-ci (Hide and Seek d’Imogen Heap) ? (oui vous la reconnaîtrez au moment du bridge)


Dawn FM et Caprisongs
Dans l’obscurité de mon mois de janvier, j’ai eu la chance d’être accompagnée par deux très grands artistes que j’adore (qui ont d’ailleurs collaboré récemment) et leurs nouveaux albums : FKA Twigs et The Weeknd. Dawn FM m’a profondément émue dans sa narration façon radio (le poème de l’outro, Phantom regret by Jim, m’a fait pleurer encore et encore) tout en me donnant, comme After Hours avant lui, l’envie furieuse de danser seule dans un club bondé. J’ai été transportée par Take My Breath, How Do I Make You Love Me ou encore Sacrifice, tandis qu’Out of Time et Less Than Zero m’ont tout simplement brisé le cœur. “Remember when I was your hero / I wear your heart out like a symbol / I know always be less than zero” chante Abel à la fin de l’album avec une émotion qui me prend à la gorge ; l’humilité qui transparaissait déja dans des titres comme Hardest to Love ou Snowchild et qui lui seyait très bien se déploie ici avec beaucoup de finesse. The Weeknd réussit à être encore plus vulnérable que sur son album précédent et parle de la peur de s’attacher, de l’incapacité à être dans une relation, d’addiction, de chagrin d’amour, de regrets, le tout sur des productions dans la lignée d’After Hours, quelque part entre le disco et la pop 80s. Avec encore plus de finesse et de virtuosité qu’en 2020 (est-ce possible ?), il laisse sa voix se faire plus profonde, plus grave et moins suave, tandis qu’il déploie un univers métaphysique sous forme de voyage en voiture intense et introspectif. “I was born in a city / Where the winter nights don’t ever sleep…” confie-t-il dans Sacrifice, encapsulant la solitude et l’intensité qui transpire de cet excellent projet. J’ai été très, très cliente de cette pop triste et désespérée, qui donne envie de pleurer en dansant ou de danser en pleurant, je ne sais pas trop (“I almost died in the discothèque”, chante-t-il d’ailleurs dans Don’t Break My Heart, et c’est exactement ça).
Est-ce une coïncidence si son titre avec FKA Twigs s’appelle d’ailleurs tears in the club ? Je ne pense pas. Caprisongs, l’album qualifié de mixtape par la chanteuse, n’est pas totalement étranger à Dawn FM dans ses thèmes, bien que moins sombre : comment trouver la paix et naviguer à travers le chagrin causé par une rupture ? Avec moins de d’emphase que sur Magdalene, un projet beaucoup plus spectaculaire et ambitieux, FKA Twigs revient néanmoins en force avec cet album très personnel, émaillé des petites interventions philosophiques de ses proches, sous formes de conseils de vie et de paroles réconfortantes. Pour décrire Caprisongs, un hommage à la saison du Capricorne, Tahliah Barnett écrit : “it is my journey back to myself, (…) and my pisce venus hot mess disastrous heart falling in love all over again / but this time with music and with myself” et ayant moi-même Vénus en Poisson, je l’ai ressenti jusqu’au plus profond de mon âme. Je pense que son album était un excellent prolongement à mon écoute de The Weeknd : on peut danser sur honda ou l’excellent Papi Bones (feat. SHYGIRL !!), mais at the end of the day, Caprisongs parle plutôt de se réconcilier avec soi, de croire en l’amour, d’être tendre avec nous-mêmes et vulnérable tout en allant de l’avant. Pour ça, vous aurez toujours Oh my love, careless, son très très beau duo avec Daniel Caesar, lightbeamers ou encore l’incroyable thank you song. “if you are lonely or feel isolated or void of encouragement by your immediate circle you can borrow my friends on the mixtape”, poursuit FKA Twigs, et c’est un peu ça. Je suis très reconnaissante d’avoir pu pleurer sur les épaules de ces deux génies musicaux lors de mes nuits les plus sombres.

Euphoria saison 2
Je n’ai jamais été une très grande fan d’Euphoria : j’ai regardé la saison 1 presque un an après sa sortie et même si j’ai trouvé la série intelligente et le casting très bon, elle n’a pas non plus révolutionné ma vie. Un peu comme skins dix ans avant elle, Euphoria avait à mes yeux le tort d’en faire trop concernant les troubles que connaissent les adolescents : trop de drogues, trop de fêtes, trop de sexe… J’ai été lycéenne également et sans jamais avoir été ce qu’on pourrait qualifier d’adolescente à problèmes, loin de là, j’ai eu moi aussi mon lot d’expériences initiatiques : j’avais une vie sexuelle, je buvais, j’ai pris de la drogue, je faisais la fête, j’ai été slutshamée et ma santé mentale s’est parfois gravement détériorée, me poussant dans des retranchements autodestructeurs. Néanmoins, exactement comme lorsque je regardais skins à 13 ans, il m’est très difficile de me retrouver dans les péripéties des héros.ïnes d’Euphoria, qui semblent toujours trop intenses, trop graves ou carrément surréalistes. Je me demandais toujours quelle place était laissée aux adolescents lambdas et à leur non-histoires : quid des crush non réciproques, des premières fois sans sextape, des personnes qui doutent d’elles-mêmes mais ne se réfugient pas dans la drogue et ont une relation relativement ok avec leurs parents ?
Avec sa tonitruante saison 2 néanmoins, Euphoria est grandement remontée dans mon estime. Peut être est-ce parce que j’ai réajusté mes exigences concernant la série et que j’ai arrêté de m’attendre à un contenu relatable ou réaliste concernant la vie adolescente ; en faisant mon deuil de ces attentes là, j’ai pu commencer apprécier le show pour ce qu’il est, c’est-à-dire un festival son et lumières très léché et maîtrisé. Peut être est-ce parce que la saison 2 embrasse résolument son ambition cinématographique (l’ouverture sur la grand mère de Fez : mieux qu’un Scorsese je pense), est passée à la pellicule. Peut être est-ce parce qu’elle a (enfin) décidé de mettre en lumière les personnages “normaux” qui manquaient justement un peu à la première saison, éclipsés par la grandiloquence de Maddy, Rue ou encore de Jules : le personnage de Lexi, qui fait ici un come-back en force, apporte selon moi un contrepoint très agréable. Peut être que j’ai tout simplement fini par comprendre que le secret pour apprécier Euphoria, c’est d’accepter que son intensité n’a pas pour vocation d’être réaliste, mais bien de se faire le reflet de ce que ressentent les adolescent.e.s, c’est à dire tout, tout le temps, un peu trop fort et dramatiquement. En tout cas, la magie opère carrément -mais aussi parce que je suis une adulte, à même de contrebalancer les représentations qu’on me propose…

My Body
Le livre qui m’a le plus marqué est sans conteste l’essai d’Emily Ratajkowski, My body, qui est disponible en version originale (très facile à lire !) dans les librairies anglaises de Paris ou en français depuis le 14 janvier. La figure publique d’emrata a accompagné mon adolescence et ma vie de jeune adulte : j’avais 17 ans quand le clip de Blurred Lines est sorti et je me rappelle encore distinctement la première fois que je l’ai vue à l’écran. Elle était si fascinante, si sensuelle, si belle qu’elle éclipsait tous les autres protagonistes du film, chanteurs y compris ; elle dégageait une confiance en elle qui m’a percutée de plein fouet et je me souviens avoir regardé en boucle le clip juste pour la voir elle, encore et encore, tandis que je reblogguais avidemment les photos d’elle sur tumblr. En même temps, j’étais aussi très consciente de son statut de femme objet dans le clip : sa nudité, la façon dont des hommes tout habillés lui brossaient les cheveux en chantant “I know you want it” tandis qu’elle miaulait docilement, ont contribué à en faire à mes yeux une bimbo qui ne se respectait pas. Les médias se sont emparés du sujet avec une voracité terrifiante et le ton était donné, quelque part entre slutshaming et objectification. Qui était cette fille ? Ses seins étaient-ils réels ou avait-elle fait de la chirurgie esthétique ? Qu’avait-elle accompli à part être belle ? Était-elle une fille facile parce qu’elle acceptait de parader en string sans gêne apparente ? La controverse concernant les paroles de la chanson ont rapidement transformé le morceau en hymne de la culture du viol, et ont contribué à associer Emily Ratajkowski à un univers de superficialité antiféministe que je ne voulais pas soutenir : puisqu’elle avait joué dans le clip, elle était complice. Deux ans plus tard, son apparition topless dans Gone Girl a semblé confirmer l’idée que je m’en étais faite : Emily Ratajkowski n’était qu’un corps, et la seule chose qu’elle était à la fois capable et désireuse d’offrir était sa nudité à l’écran. J’étais jeune et je n’avais pas encore compris qu’elle ne faisait que répondre aux directives que d’autres personnes (souvent des hommes) lui donnaient, que le concept de fille facile était une chimère patriarcale ; qu’elle était plus que son corps, plus que ce que les médias me présentaient, et qu’elle devait très certainement souffrir de ce statut de femme-objet, impossible à acquérir sans payer le prix fort.

Les années ont passé, Emily Ratajkowski est restée : son instagram est devenu un monument incontournable de la media culture d’aujourd’hui, tandis qu’elle lançait sa marque de maillot de bains, explosait en tant que mannequin, se mariait et accouchait de son premier enfant sous les yeux du monde. Le féminisme aidant, j’avais depuis longtemps revu mon jugement hâtif et misogyne et je l’admirais pour son aisance à naviguer dans le monde hypersexualisé du mannequinat et de l’influence, lorsque son premier essai, Buying Myself Back est paru en ligne dans The Cut, la version féminine du New York Magazine. Je me rappelle du sentiment d’étrangeté que j’ai ressenti à la lecture, en réalisant qu’Emily Ratajkowski n’était pas juste un objet offert à nos regards, une image sur instagram en deux dimensions, mais une personne avec une voix, une voix que je n’avais jamais entendue. Le sujet qu’elle abordait, à savoir son rapport complexe avec son image et le sentiment de ne pas s’appartenir, se retrouve dans son livre, dont l’article constitue d’ailleurs un chapitre à part entière. Sans être l’essai le plus complet ou groundbreaking, My body offre une réflexion importante sur l’hypersexualisation des corps féminins et la façon dont, tout en étant constamment ramenées à leur physique, les femmes qui l’assument sont systématiquement slutshamées. Emily Ratajkowski ne s’en tient cependant pas qu’à son expérience dans le mannequinat, mais se livre aussi concernant ses névroses, son adolescence, les violences sexuelles qu’elle a subi, son rapport au monde du travail, à l’argent et à la famille. Étonnamment accessible, elle parvient à trouver le juste milieu entre vulnérabilité et lucidité afin de se confier sur des expériences que nous avons, pour la plupart, déjà toutes vécues. Sans s’excuser d’être qui elle est, Emily Ratajkowski se raconte : comment a-t-elle intégré les normes de genre ? Comment a-t-elle réussi à survivre dans un monde qui ne l’estime que très peu ? Comment réconcilier ses convictions et son travail ? Et surtout, surtout, qu’est-ce que le pouvoir, le vrai ?

“It is by transforming one’s body into an object that one can sell it ; it is by selling it that one may gain food, housing, status, influence, and yes ‘power”’ écrit Andrea Long Chu pour le New York Times. Sublimés par son écriture à la fois concise, sensorielle et fluide, ces petits fragments de vie dressent le portrait d’une femme en colère, dont la déconstruction s’accompagne de son lot de souffrances et d’incohérences et qui a désespérément besoin aujourd’hui de reprendre le contrôle d’une image qui lui a si longtemps échappé. J’ai ressenti une émotion profonde mais aussi une jubilation totale à la lecture de ses mots : c’était si satisfaisant, si beau et si puissant de la voir se lever et prendre la parole, s’emparer de sa propre histoire. Sa démarche, qui consiste à vouloir s’émanciper de la lecture binaire complice/victime (des normes de beauté, des agressions sexuelles, du capitalisme), est profondément touchante et humaine : il s’agit avant tout de mettre en avant son point de vue, trop rarement écouté.
Son témoignage est incomplet : elle n’aborde jamais la question des normes de beauté dans le mannequinat, pas plus que la question de la grossophobie ou le fait qu’elle participe aujourd’hui à ancrer dans l’imaginaire collectif la suprématie d’un corps mince, que même une grossesse n’a pas réussi à modifier. Difficile parfois de s’identifier à la souffrance qu’elle a pu ressentir en tant que trop belle femme réduite à son physique lorsque l’on est quelqu’un de beaucoup plus quelconque. Néanmoins, ces blancs et ces silences laissent aussi la porte ouverte à d’autres essais, d’autres textes et d’autres prises paroles qui viendront petit à petit, je l’espère, renverser le rapport de force qui existe aujourd’hui dans l’industrie de la beauté et de la mode.

Normal People
Après avoir passé l’automne et l’hiver 2021 en compagnie de Sally Rooney, il me paraissait nécessaire de me confronter (tardivement) à l’adaptation de son roman en attendant la sortie de Conversation with friends (avec Joe Alwin (le lover de Taylor Swift) dans le rôle de Nick !! dingue à mes yeux). C’est simple, je n’avais entendu absolument que du bien de cette série… Et je n’ai pas été déçue du tout. Je reste un poil dubitative concernant le casting de Paul Mescal, qui donne au personnage de Connell une vulnérabilité gauche que je ne lui prêtais pas dans le roman, mais Daisy-Edgar Jones a définitivement contribué à élever le personnage de Marianne dans mon cœur. Etrangement, la série m’a fait aimer le livre d’avantage, alors que j’avais largement préféré Conversation with friends à la lecture ; elle contribue à humaniser les personnages, qui semblent parfois froids et inaccessibles à l’écrit. La réalisation de Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald réussit parfaitement à capturer la méticulosité des romans de Rooney -un pari ambitieux, et la présence de cette dernière dans le processus d’écriture du script y est sans doute pour beaucoup. Hâte de découvrir à l’écran les personnages de Frances et Bobbi !

Call Us What We Carry
Janvier a aussi été un mois éclairé par les mots inspirés d’Amanda Gorman. Si ce nom vous dit quelque chose, c’est peut-être parce que vous l’avez vue à la cérémonie d’investiture de Joe Biden en 2021. Elle était la plus jeune poétesse à prendre la parole à cet événement historique ; c’est également la première bénéficiaire du titre de National Youth Poet Laureate aux Etats-Unis (c’est à dire à être élue jeune poétesse officielle et à recevoir un salaire pour pratiquer son art). Je me suis laissée tenter par son recueil à la couverture bleue pleine de déchirures (ou de nuages, selon le point de vue). J’ai beaucoup aimé son écriture, en vers libres, très fluide et imagée. Amanda Gorman joue aussi beaucoup avec le format de la page : certaines sont presques blanches, elle y groupe les mots afin qu’ils forment des branches, des spirales, des baleines, et nous rappelle que la magie de la poésie, c’est aussi de déconstruire les codes de la lecture et de la mise en page. Ses poèmes célèbrent la résilience, la force tranquille de continuer même au plus noir de nos nuits… et notre attitude face à la pandémie. C’était très étrange de lire des poèmes si actuels et de voir le mot “COVID” dans un livre, mais c’est un moyen comme un autre de cope.
J’ai aussi aimé :
- le teen movie Confessions of a teenage drama queen de Sara Sugerman avec Lindsay Lohan et Megan Fox
- la méconnue mais très réussie saison 10 d’American Horror Story
- relire la série niaise mais addictive Kissed by an angel d’Elizabeth Chandler (tw écriture très stéréotypée des relations amoureuses et personnages adolescents irréalistes)
Quittons-nous sur les sages mots de Jim Carrey pour The Weeknd :
And if your broken heart’s heavy when you step on the scale
You’ll be lighter than air when they pull back the veil
Consider the flowers, they don’t try to look right
They just open their petals and turn to the light
Are you listening real close?
Heaven’s not that, it’s this
It’s the depth of this moment
You don’t reach for bliss
God knows life is chaos
But He made one thing true
You gotta unwind your mind
Train your soul to align
And dance ’til you find that divine boogaloo
In other words
You gotta be Heaven to see Heaven
May peace be with you
see u en février ❤