How to have sex : glitch dans la matrice (de la culture du viol au cinéma)

Aussi insoutenable que crucial, How to have sex explore avec justesse la culture du viol qui imprègne le monde de la fête et les premières fois adolescentes. 

Tara, Skye et Em viennent de passer leur examen de fin d’année. Elles embarquent pour leurs premières vacances entre potes, à l’étranger, loin de leurs parents. Direction la Crète et la ville de Malia, le paradis de la fête sans lendemain. Pour Tara, un autre rite de passage se profile : la jeune fille compte bien profiter de ce séjour pour se débarrasser une bonne fois pour toute de sa virginité. 

Best holiday ever ?

Avec ses faux airs de Spring Breakers, How to have sex se présente d’abord comme un long métrage sur le nihilisme qui sous-tend parfois la fête adolescente. Le film s’ouvre sur des plans idylliques de baignade au lever du jour, de cigarettes au bord de l’eau, de déclarations d’amour entre copines, puis enchaîne très vite avec la folie collective des soirées piscines et des corps à peine vêtus. L’alcool coule à flots, des filles en bikini se trémoussent et des garçons leur versent de la bière dans la bouche en mimant une fellation, le tout sur fond assourdissant des tubes de Major Lazer et de Flume. Serait-on de retour dans les années 2010 et dans le film de Harmony Korine ?

Lorsque l’on interroge Molly Manning Walker, la réalisatrice britannique de How to have sex, cette dernière confie avoir eu l’idée du film après une discussion avec ses amis sur le premier été qu’ils avaient passé ensemble, il y a des années. “On s’est rendu compte que notre notion du consentement était vraiment déformée à cette époque” confie-t-elle. Plus que la volonté de documenter la fête de l’extérieur, comme le faisait Spring Breakers, How to have sex adopte une perspective très subjective et intime : nous voyons tout par les yeux de Tara, l’héroïne, double adolescent d’une réalisatrice adulte, et observons le décalage entre ce qu’elle ressent et ce qui se passe autour d’elle. Le film n’est ainsi pas tant le portrait d’une génération qu’un regard porté en arrière, sur un été que l’on pensait génial, mais qui ne l’était peut être pas tant que ça -comme quand on relit un journal intime dix ans plus tard et qu’on se dit : ok, wow, en fait, ça n’allait pas du tout.

Spring break au féminin

Là où les héroïnes de Spring Breakers étaient inaccessibles, creuses et surréalistes, Molly Manning Walker s’intéresse à ce qui se passe au-dedans et construit des personnages résolument touchants, qui se débattent avec les injonctions de la coolitude et leurs propres limites. Tara, Skye et Em mentent sur leur âge, s’essayent à la sexualité et à la vie d’adulte comme on essaye des costumes, à l’image des vêtements qu’elles enfilent, s’échangent et enlèvent constamment -sans que jamais la caméra pose sur elles un regard sexualisant. “Pendant longtemps, ce sont les hommes qui ont fait les films et on avait rarement accès à une perspective féminine sur ces sujets” confiait la réalisatrice à Konbini. “Actuellement, on cherche beaucoup à faire entendre les voix des femmes dans l’industrie du cinéma et on a plus souvent l’occasion de raconter des histoires comme celles-ci”.

Effectivement, How to have sex apporte un vent de fraîcheur bienvenu dans le paysage des histoires de sexualité adolescentes et féminines au cinéma. Molly Manning Walker évite le travers d’esthétiser ses scènes de sexe et nous montre finalement l’acte sexuel par un prisme avant tout mental. Fini les ébats quasi pornographiques de Spring Breakers ou les scènes d’abus sans résonnance psychologique qu’on pouvait voir dans Euphoria. En montrant peu, elle réussit à faire écho au ressenti des jeunes filles avec plus de véracité et de force que toutes les productions hollywoodiennes de ces dernières années.

Petit à petit, le bruit de la fête s’estompe, les soirées à l’intérieur se font plus nombreuses, les corps se rhabillent -notamment celui de Tara, qui s’engonce de plus en plus dans des joggings et des t-shirts larges, délaissant ses robes légères du début. Le malaise s’installe. Les silences deviennent assourdissants de non-dits, car les personnages sont encore trop jeunes, trop naïfs, trop aveugles aussi, pour réussir à poser des mots sur les violences qu’ils expérimentent. Le consentement est un mot qui n’existe pas vraiment dans cet univers de débauche débridée, où l’on dispose des corps -aussi bien masculins que féminins- comme l’on se sert un verre. Et si l’on arrive plus à s’en rappeler le lendemain ? Pas grave, c’est que ça devait être bien. 

Protéger Tara (et se protéger soi)

Les 2010s et leur impunité, pourtant, sont loin. Rapidement, la bande  son s’éloigne de la pop américaine d’il y a dix ans et incorpore des morceaux contemporains aux titres doux-amers et révélateurs, comme « Escapism », « Set my mind free » ou « Strong » ; la lucidité, dans How to have sex, ne peut venir que du présent et de notre regard à nous. Car si les adolescent.e.s à l’écran tâtonnent pour démêler leurs ressentis et poser des mots sur ce qu’ielles viennent de traverser, nous, en tant qu’adulte bien ancré.e.s dans le présent, savons. Nous savons que la pression à perdre sa virginité, pour une jeune femme, est bien souvent un piège ; nous savons que céder n’est pas consentir ; nous savons reconnaître ce qui est en train de se jouer sous nos yeux. Mais, spectateur.ice.s, nous sommes condamné.e.s à regarder les adolescent.e.s de l’histoire apprendre à leurs dépends les dures leçons que nous avons déja apprises avant eux. 


En cela, How to have sex est porteur d’une universalité à la fois salvatrice et terrible ; beaucoup (si ce n’est toutes) les (ex) jeunes filles se reconnaîtront probablement dans le portrait de Tara. C’est peut être ça qui fait mal : pourquoi le film parle-t-il à tant de personnes ? Agressions sexuelles, amitiés toxiques, complicité passive des garçons entre eux… C’est douloureux parce que c’est vrai, et parce qu’on aurait aimé que les personnages soient épargné.e.s (ou que nous le soyons, jadis), mais c’est trop tard. Et notre coeur se brise (une fois de plus) en regardant le reflet défait de Tara dans la glace, son éternel collier « angel » autour du cou, avouer à son amie ce qui s’est réellement passé entre elle et ce mec de vacances. Dans ces moments, difficile d’imaginer ce qu’on peut faire pour protéger les jeunes filles d’aujourd’hui et de demain. Heureusement, How to have sex ne se contente pas de montrer ; il est porteur d’un immense pouvoir éducatif et ouvrira sans aucun doute des conversations plus que nécessaires pour faire bouger les choses, au cinéma et dans la vie. A voir donc, absolument.